Par Marc Vial, professeur à la faculté de théologie protestante de l’université de Strasbourg

Quand le théologien contemporain parle du ciel, il se livre, non à une spéculation relative à je ne sais quelle géographie divine, mais à une réflexion sur l’histoire : celle de notre monde. C’est que, en considérant le ciel, il a surtout en vue le projet que Dieu nourrit pour le monde qu’il a créé. Laissant aux scientifiques le soin d’étudier les lois de l’univers, et aux charlatans celui d’essayer de nous endormir avec des discours sur un « arrière-monde » qui serait à mille milles de toute terre habitée, le théologien ne prend en compte le ciel que pour mieux penser la manière dont nous pouvons habiter la terre.

La Bible emploie le mot « ciel » en deux sens principaux. Le terme renvoie en premier lieu à la voûte céleste, c’est-à-dire à une partie du monde créé. Tel est le cas dans le premier verset de la Genèse : « Commencement de la création par Dieu du ciel et de la terre ». Le mot peut recevoir un second sens encore et désigner le lieu des puissances angéliques et, d’abord, celui de Dieu. C’est ainsi que le ciel peut être identifié au « trône de Dieu » (Actes 7, v.49 et Esaïe 66, v.1). Un tel langage est nécessairement imagé, dans la mesure où Dieu ne peut être circonscrit en aucun lieu et encore moins assigné à résidence. 

Quand se concrétise le projet de Dieu

On propose ici d’entendre par « ciel », pris au second sens, le « lieu » de l’accomplissement de la volonté divine. De fait, dire de Dieu qu’il est au ciel et distinguer le ciel de la terre revient à faire valoir que Dieu n’est pas encore à demeure dans le monde, puisque ce dernier ne correspond pas encore au projet que le Créateur nourrit pour lui. La foi chrétienne est portée par l’espérance selon laquelle le mal, la souffrance et la mort, qui défigurent la création, n’ont pas vocation à régir éternellement notre monde, dans la mesure où elle espère sa transformation radicale. Tel est le sens du motif du ciel nouveau et de la terre nouvelle (Apocalypse 21, v.1). C’est alors, lorsque la seigneurie de Dieu sera reconnue par tous et donc que plus personne ne sera de trop dans le monde, que Dieu pourra s’y sentir chez lui. Pour l’heure, la seule créature qui ne soit plus sujette au mal, à la souffrance et à la mort n’est autre que Jésus Christ, ce que signifie notamment le motif de son ascension et de sa session à la droite du Père – au ciel.

Reste que ce qui a été accompli en un homme est promis à tous. Reste aussi que nous sommes appelés à nous mettre, dès maintenant, à la suite du Christ, « premier-né d’une multitude de frères » (Romains 8, v. 29) – en croyant que nous avons une place dans ce monde et en témoignant, en paroles et en actes, auprès de ceux qui croisent notre route, qu’ils l’ont aussi. La « logique du ciel » a vocation à devenir celle de la terre. En attendant, il nous revient d’apprendre à nous conformer à cette logique et, ce faisant, de prier : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme [elle l’est déjà, en Christ] au ciel ».