A la Pentecôte 2004 la Mission Populaire réunie en congrès dans la ville de La Rochelle s’est votée une confession de foi. On y peut lire : Nous croyons que Dieu fait les uns fidèles et les autres athées pour élargir l’espace de la vérité

Cette phrase donna lieu à quelques controverses : comment peut-on affirmer que Dieu « fait » certains athées.

S’agit-il d’une malédiction sur eux ? D’une contradiction en Lui ? Et d’ailleurs, plus largement, comment l’homme moderne pourrait-il admettre une puissance qui prédispose quiconque à croire ou ne pas croire ? Ne voit-on pas ici réapparaître le Dieu archaïque qui prédestine et se moque de la liberté humaine ?

Mais ce n’est pas dans ce sens que les personnes en quête de Dieu se posent les questions ; souvent invitées en temps de prière à remercier Dieu pour des bienfaits plus ou moins problématiques, pourquoi refuseraient-elles de rendre grâce comme pour un don du ciel à propos d’une expérience qu’elles font tous les jours : le recul de l’obscurantisme religieux et l’avancée de quelques libertés sans lesquelles juifs et protestants seraient aujourd’hui encore pourchassés ? Ces libertés les Vaudois, les Huguenots et les Juifs les ont conquises à un prix très lourd par leur résistance à la Religion d’État mais non sans l’aide des mécréants et des athées en lutte contre la religion en général.

Ainsi, chaque fois que Voltaire caricature le Christianisme selon le principe « si Dieu a fait l’homme à son image l’homme le lui a bien rendu » il donne écho et ampleur à la critique de tous les pouvoirs qui utilisent « Dieu » comme caution de leurs exactions, qu’ils se nomment Louis 14 ou Ali Khamenei, « Guide de la révolution ».

Ainsi, Nietzsche*, lorsqu’il accuse le Christianisme d’être la voie des esclaves et des ratés mérite peut-être le soupçon de pré-fascisme qui lui colle à la peau ; pourtant sa lecture permet aussi de démasquer la tendance des gens d’église à se complaire dans l’échec et les projets sans envergure (small is d’autant plus beautifull que j’ai la trouille de voir grand) ou à confondre solidarité avec les pauvres et populisme religieux. Et quand Dietrich Bonhoeffer* appelle de ses vœux un évangile qui touche l’homme dans sa force et pas seulement dans ses défaillances, fait-il autre chose que convertir en projet constructif le propos méprisant de Nietzsche ? Pour Feuerbach* la religion dépouille l’homme de ses trésors les plus précieux, idées, rêves, mérites…, pour les attribuer à Dieu, à qui seul revient la gloire. Ce type d’affirmation est proche parente des descriptions du phénomène religieux telles qu’on les trouve chez les sociologues français des 19 et 20ème siècles. Elle est dure à digérer mais n’en constitue pas moins une radiographie du danger que représente toute religion dominante.

Et aujourd’hui combien de « simples paroissiens » vivent leur foi sans y avoir intégré les critiques les plus vives du conformisme religieux, de son rôle de soumission sociale, ou le démontage de l’image d’un Dieu masculin, ethnique, et répressif ? Assurément très peu à la miss pop ou dans les milieux luthéro-calvinistes. Et du débat avec l’athéisme ces gens retirent une idée de Dieu certainement bien plus proche de l’évangile que s’ils étaient restés confits dans leur protestantisme pur jus.

Sans athées il n’y aurait que des religions majoritaires persécutant des religions minoritaires ; sans athées la foi serait étouffée sous l’orthodoxie dogmatique ; sans athées Dieu serait simplement le protecteur des pouvoirs les plus oppressifs et Jésus de Nazareth, Jésus le crucifié, supplanté par un Christ en gloire, modèle des potentats de droit divin et de tous les « 1ers magistrats » chargés de garantir l’ordre établi en société. Non que les athées seuls soient venus à bout de ces représentations et des formes d’oppression qu’elles sacralisent, mais parce qu’ils y ont contribué courageusement dans le passé et que là où ils n’existent pas publiquement on peut savoir que la liberté de conscience n’existe pas non plus. Aussi, il faut prier Dieu de nous donner des athées, de l’art et du rire pour défendre la liberté.

*Nietzsche : penseur allemand du 19ème siècle, fils de pasteur, commence ses études par la théologie (comme Feuerbach).
*Feuerbach : philosophe allemand du 19ème siècle.
*Bonhoeffer : pasteur, théologien allemand de génie, mort en 1945 pour avoir participé à un complot contre Adolphe Hitler.