Colette Schrodi, responsable du service communication de l’UEPAL, et Philippe Breton, docteur en sciences de l’information et de la communication (1), ont accepté de se pencher sur la question.

Philippe Breton l’affirme : « Il ne faut pas se mentir. L’objectif de la communication n’est pas d’informer. Les médias se chargent de ça. Le but des professionnels de la communication est de présenter et de construire une image de l’institution qu’ils défendent ». En effet, le registre langagier de cette pratique est essentiellement celui de l’argumentation. Pour cet universitaire, il y a « une volonté explicite d’appuyer majoritairement sur les aspects positifs. Communiquer, c’est se faire l’avocat d’une cause ».

La question semble toutefois plus ardue en ce qui concerne la communication d’Église. Pour Colette Schrodi, tout réside dans l’intégrité : « Nous ne vendons rien. Nous faisons de la communication institutionnelle. Loin du branding (2) diffusé par certaines Églises à grands coups d’artifices, il n’y a pas d’objectif prosélyte qui pourrait s’apparenter à de la manipulation. La qualité de notre communication reflète notre intégrité ! » 

La place de l’éthique

Pour autant, communiquer c’est vouloir convaincre. C’est une certitude pour Philippe Breton qui précise ne pas être partisan « d’amalgamer cette pratique argumentaire à la volonté de manipuler ». Communiquer serait alors mettre en avant les aspects positifs et laisser certains autres dans l’ombre sans pour autant les cacher. Mais où résiderait alors la manipulation ? « Dissimuler complètement les aspects négatifs, c’est glisser de l’argumentaire vers la manipulation » explique-t-il.

Théoriquement cela semble plus clair. Mais qu’en est-il en pratique ? Manipuler s’apparente pour les spécialistes à une forme de violence, une intention délibérée de tromper. Philippe Breton l’illustre : « Je n’aime pas le rose, je n’ai jamais eu de chemise rose. Il m’est pourtant arrivé de ressortir d’un magasin avec une chemise rose. Je n’ai pas compris pourquoi et je ne l’ai jamais mise. Je me suis fais rouler, on m’a manipulé et non pas convaincu. Je ne l’ai d’ailleurs jamais échangée car j’avais honte de ma faiblesse ». Comment lutter dans ce cas ? « La manipulation est une pratique éthiquement condamnable. Mais nous sommes en démocratie et la parole est libre. Le charme n’est pas judiciairement condamnable ! Il n’y a aucun recours dans cette zone grise qui relève de la liberté d’expression », dit-il encore. Cela crée de fait une insécurité dans l’esprit des gens, mêlée à une situation de rupture de l’opinion vis-à-vis de tout ce qui s’apparente à une élite : politiques, médias et même Église. La communication, qui serait éthiquement respectable, souffre de cette perte de confiance. Pour Philippe Breton, « le terme communication, tout comme celui de rhétorique, deviendra malheureusement péjoratif ».

La communication d’Église n’est pas le diable

Pourtant, Colette Schrodi l’affirme : « Nous ne communiquons pas assez ! Aujourd’hui ce sont les craintes de la manipulation qui stérilisent la communication. Il faut dédiaboliser cette pratique. Jésus était lui même un grand communicateur et utilisait ses disciples comme relais ! ». Dans le cas bien particulier de l’Église, elle s’attriste du manque d’investissement des paroisses qui « ne voient pas l’intérêt alors qu’une bonne communication pourrait avoir des effets sur la fréquentation de nos églises ». Pour autant, selon elle, le cœur du problème ne réside pas là, mais dans la peur de s’exposer : « La foi est pudique en France, on assume peu car on définit son identité par la perception d’autrui ». Un point de vue partagé par Philippe Breton qui conclut : « Nous sommes dans une culture de la communication qui favorise aussi l’exclusion d’une grande partie de la population ». 

 

(1) Dernier ouvrage paru : L’argumentation dans la communication, éditions La Découverte, 2016, 128 p.

(2) Le branding est une logique d’action marketing ou publicitaire qui cherche à positionner une marque dans l’esprit d’un public visé.