Bertrand Dumas préfère, lui, insister sur la tension entre ces deux pôles : tradition et innovation.

Bertrand Dumas est professeur de théologie systématique au Centre théologique de Meylan (Isère) et par ailleurs conseiller conjugal. Il souligne l’aspect novateur de la démarche synodale mise en œuvre par le pape François pour traiter du thème de la famille : une consultation large du peuple de l’Église à deux reprises, avant chacune des sessions du Synode. Pour autant, il aime à rappeler que cette démarche est inscrite dans la tradition de l’Église catholique romaine : Ce qui concerne tout le monde doit être travaillé par tout le monde, même si les derniers siècles avaient rompu avec cette méthodologie. Cette sollicitation a donc été accueillie avec surprise et avec joie. Mais dans le diocèse de Grenoble comme dans la plupart des diocèses, nous avons été pris de court par les délais nécessaires à l’organisation de cette réflexion dans les paroisses… Nous n’avons pas cette habitude de la consultation…

Dans l’univers médiatique qui est le nôtre, c’était sans doute également la première fois qu’une démarche synodale était ainsi mise sur le devant de la scène. Quelques cardinaux bien en vue ont ainsi fait étalage de leur point de vue dans les librairies alors même que la consultation était en cours. Les débats lors des deux sessions synodales se sont également retrouvés mis en ligne sur les réseaux sociaux au fur et à mesure de la tenue des séances, ce qui n’a pas aidé à apaiser les éventuels différends.

Un jeu d’équilibre à retrouver

Pour Bertrand Dumas, ce jeu de tensions entre innovation et tradition est également à découvrir dans les fruits de ce Synode, et en particulier dans l’encyclique Amoris Lætitia qui en est issue. Certes, le dogme n’a pas bougé et les règles sont rappelées en vue de l’idéal d’une vie conjugale et familiale catholique. Mais l’encyclique fait en même temps place à l’attention aux réalités vécues par les hommes et les femmes de notre monde et remet en avant la loi de gradualité. C’est passionnant, parce qu’on n’est pas dans la simple règle d’un « oui » ou d’un « non » à dire, mais dans l’accompagnement des personnes et des circonstances, en invitant au bien qui est à la portée, un pas à la fois !

En tant que professeur d’éthique, Bertrand Dumas ne peut en effet que se réjouir de ce que l’éthique soit revalorisée face au dogme, l’accompagnement face au rappel des règles. « Amoris Lætitia » fait place au principe de graduation. L’idéal est certes rappelé, mais chacun doit être accompagné pour faire le bien possible dans sa situation, non pas être confronté à son échec face à l’idéal de la vie chrétienne.

Conjuguer les bases et la nouveauté

Certes, le chapitre 4 de l’encyclique rappelle les bases traditionnelles du dogme catholique. Mais, la nouveauté était bien présente tout au long de la démarche : par l’attention au contexte et au décalage parfois trop grand avec les situations vécues par les personnes, par la personnalité du pape François et sa liberté de ton héritée de sa tradition jésuite, par la redécouverte d’une tradition théologique éthique, longtemps passée au second plan, derrière le rappel du dogme. La question de l’équilibre à trouver reste entière dans le temps de la réception de ce texte qui s’ouvre dans les diocèses tout comme la question de l’accompagnement qu’il faudra mettre en œuvres dans les paroisses.