815 000 personnes se suicident chaque année dans le monde : soit un acte de mort volontaire toutes les 45 secondes ! (et une tentative toutes les 4 à 5 secondes…) Ce n’est donc pas un épiphénomène. Entre condamnation et miséricorde, comment réagir ?

Chacun d’entre nous est touché par le suicide, soit directement par le départ d’un proche, soit indirectement, par connaissance. Qu’est-ce qui peut donc conduire une personne à décider de quitter la vie ? Et certaines raisons sont-elles légitimes au regard de la foi et de l’éthique chrétiennes ?

Parmi les philosophes de l’Antiquité, les stoïciens ont prôné un certain suicide : celui qui manifeste une maîtrise totale de soi-même, une décision raisonnée, et non désespérée, un acte de liberté suprême. Il s’agit là d’une forme de défi qu’une perspective évangélique ne peut cautionner : pour les chrétiens, la vie est un don de Dieu, dont nous ne pouvons disposer à notre guise. Et cependant, ne peut-on accueillir certains suicides avec sollicitude et compassion ?

Pendant des siècles, l’Église a condamné vigoureusement le suicide comme étant un péché. Outre l’argument théologique déjà mentionné, l’exemple biblique de Judas suffisait à nourrir la sévérité du jugement. C’est pourquoi les funérailles religieuses étaient refusées aux suicidés. Le premier à avoir ouvert une brèche est Martin Luther ; son approche, révolutionnaire pour l’époque, consiste à dire que la personne qui se suicide n’est pas entièrement responsable de son acte, car elle est d’abord une victime de Satan ; elle appelle donc en priorité notre miséricorde.

Mystère insondable de la personne

Les Églises protestantes mettront du temps à adopter cette nouvelle attitude. Au XVIIIe siècle encore, John Wesley, fondateur du méthodisme, propose d’exposer publiquement les cadavres des suicidés pour dissuader toute personne tentée par la mort volontaire… Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que le suicide sera considéré comme l’effet d’une pathologie : la « mélancolie », la dépression, la difficulté maladive à supporter sa condition, poussent certaines personnes, plus faibles que d’autres, à quitter la vie. Les chrétiens vont intégrer ce diagnostic en développant des pratiques pastorales d’accompagnement, de prévention par le dialogue et la communion fraternelle, et de « postvention » par la présence solidaire auprès des personnes endeuillées.

Aujourd’hui, nous savons qu’il y a quantité de raisons de se suicider : de la cruelle trahison amoureuse d’un adolescent à l’endettement insupportable d’un agriculteur, du harcèlement moral d’un cadre au désespoir d’un détenu sans perspective, d’une lourde pathologie psychiatrique au supplice quotidien d’une personne âgée totalement dépendante, d’un appel au secours au sacrifice d’un martyr… On voit bien en déclinant cette liste que toute classification est vaine, car le suicide relève toujours, au final, d’une singularité absolue : du mystère insondable d’une personne unique et de son rapport existentiel à la vie, à la mort, aux autres et au monde, parfois à Dieu. C’est pourquoi, au regard de la foi et de l’éthique chrétiennes, il est impossible de répondre catégoriquement à la question : « Y a-t-il de bonnes raisons de se suicider ? » Nous nous situons en effet au-delà (ou en deçà) de la tension entre licite et illicite : bien plutôt dans la sollicitude et la solidarité, avec les personnes suicidaires et avec les familles endeuillées. En les confiant à notre Père céleste dont l’amour tout-puissant dépasse tout ce que nous pouvons comprendre, et qui nous accueille toutes et tous dans sa grâce infinie.

Un colloque à Strasbourg

Penser le suicide

Les 17 et 18 novembre 2016, au Palais universitaire de Strasbourg, un colloque international et interdisciplinaire abordera la redoutable question du suicide. Au programme : le suicide des points de vue anthropologique, théologique, psychologique, philosophique et sociologique ; l’état des lieux du suicide aujourd’hui ; la prévention ; se reconstruire après le suicide d’un proche ; le suicide dans l’islam ; fin de vie, euthanasie et suicide assisté…

Renseignements : theopro.unistra.fr ; 03 68 85 68 35 ; scoltp@unistra.fr