La place de l’Église

L’accompagnement spirituel se fait en lien avec une communauté ecclésiale qui envoie l’accompagnant auprès de celles et ceux qui ont besoin d’une écoute ou d’un soutien. Cela peut se vivre à l’intérieur de l’Église, comme dans une institution partenaire. Ainsi, les « envoyés » ne sont pas déracinés, mais ancrés dans une vie communautaire, portés par la prière, invités à la formation et au témoignage.

On voit aujourd’hui se développer, par exemple en Suisse ou au Canada, l’idée d’accompagnants spirituels confessionnels neutres, avec l’objectif de pouvoir accueillir sans a priori toute personne en demande. Mais que serait une rencontre au cours de laquelle un des interlocuteurs avancerait masqué ?

Il me semble important que l’accompagnant assume qui il est, annonce ou du moins ne cache pas ses références, ne craigne pas de dire qui l’envoie pour que l’autre se sente en confiance et en sécurité au fil de la rencontre. Cela n’empêche pas que l’accompagnant, de par sa formation, mette en dialogue ses références avec d’autres, sans dogmatisme. Aussi, la personne en charge de l’accompagnement spirituel (pasteur·e ou membre de l’Église) de personne en souffrance psychique ne peut jouer au psychologue ni au psychothérapeute. Ce serait dangereux et malhonnête de mélanger les genres. Lorsque cela semble nécessaire, elle doit orienter vers des personnes compétentes qui accepteront d’avoir une démarche complémentaire.

La place de l’écoute et de la parole

On dit souvent que, dans l’accompagnement spirituel ou amical des personnes qui ont besoin d’aide, il faut d’abord se taire et écouter. Mais on confond le fait de ne pas parler avec le silence. Et on confond l’écoute avec l’absence de mots.

Le silence n’est pas une technique de soin mais un moment souvent inattendu que l’on décide de ne pas remplir pour laisser d’autres formes de langage ou de présence émerger (une main tendue, un regard croisé, une larme, un cri…) et expérimenter ce qui ressemble à la communion d’un instant.

D’autre part, l’écoute n’est pas forcément l’absence de mots mais la capacité à saisir ce qui cherche à se dire dans la rencontre. Il ne faut pas confondre une écoute taiseuse avec l’attente patiente de l’émergence d’une expression de l’autre. Or je crois que l’écoute n’est pas seulement liée à la parole et qu’elle est aussi une action, une présence active qui invite, facilite, ouvre un espace pour que l’autre, en confiance, puisse oser être en vérité malgré sa souffrance ou une situation qui l’amène plutôt à se replier sur lui-même.

Dans l’accompagnement des personnes souffrant de troubles psychiques et de handicap physique et/ou mental, j’ai été sensibilisé à un accompagnement dans lequel le sens des mots est tout aussi important que le choix de gestes qui font sens, ou qui simplement permettent de maintenir une relation.

La parole, même si elle n’est pas prononcée, précède ou nourrit le geste. Comment, quand il n’y a pas de possibilité d’échanger des mots, trouver de nouvelles formes de langage qui ne cherchent pas à maintenir à tout prix un dialogue (dia-logos), la parole échangée, la discussion, l’entretien, mais qui cherche ce qu’on pourrait appeler en s’amusant un peu avec les mots, une « dia-présence », une présence partagée ? Une rencontre qui ne s’interdit pas les mots, mais se met à l’écoute de tout l’être et de ses cinq sens, en cherchant à les accueillir pour rester en relation avec l’autre.

Mais la prise en compte des cinq sens n’a de pertinence que s’il y a aussi une écoute du contexte de vie de la personne accueillie. Car toute personne arrive aussi avec des références, ses relations, une histoire, des blessures et des capacités qui lui sont propres. Souvent , l’accompagnement spirituel est une piste que les associations d’entraide creusent quand elles se rendent compte que l’accompagnement des personnes vulnérables qu’elles assurent se résume à une aide matérielle ou technique. Le Christ a montré que c’est bien tout l’être qui est appelé à être guéri, libéré et à reprendre sa place dans la communauté humaine.

La place de l’autre

À force d de dire que chaque personne est accueillie dans l’Église telle qu’elle est, et que nous n’avons rien à dire sur elle afin de ne pas la juger, n’avons-nous pas développé une certaine indifférence involontaire envers celles et ceux qui arrivent dans la communauté ? En constatant le refus de certains croyants discrets et pudiques de se laisser accompagner au niveau personnel et le refus des responsables de la communauté de pratiquer une certaine ingérence dans la vie des personnes , comment alors ne pas tomber dans une certaine indifférence ? Comment ne pas passer à côté des besoins de l’autre et de son besoin d’accompagnement ? L’équilibre n’est jamais facile à trouver. La mise en place de ministères formés, de temps et de lieux repérés dans l’Église semble pertinente pour accueillir les besoins.

La place des Écritures

L’accompagnement spirituel doit aussi être nourri des Écritures. Cela signifie d ’abord que les accompagnants, dans leur formation, doivent étudier et puiser dans les textes ce qui va nourrir leur ministère, mais aussi nourrir les rencontres à venir. Car les Écritures peuvent devenir, si cela se présente, une parole qui vient sortir l’accompagnant et l’accompagné d’un face-à-face. Un récit vient alors questionner ce qui vient d’être dit, nourrir la réflexion, permettre à chacune et chacun de se demander où il/elle est dans cette histoire qui l’a précédée et qui continue aujourd’hui.

Combien de fois ai-je entendu ou vu des personnes ressortir d’un entretien ou d’une animation biblique remises en route grâce à une parole partagée qui a résonné avec leur expérience ? Encore faut-il que l’accompagnant accepte que ce ne soit pas sa parole ou son écoute qui soit au centre, mais celle d’un Autre, un tiers, le Dieu de Jésus Christ pour les croyants, qui vient s’inviter dans notre histoire.

La place de la prière

Comme la lecture des Écritures, la prière est nécessaire pour déposer ce qui a été vécu et ce qui va l’être. Elle a aussi une place dans la rencontre. Mais la prière ne peut être ni un moment obligatoire, ni un moment interdit. Pour ma part, au début de mon ministère pastoral, je n’osais pas la proposer systématiquement alors que j’ai vu, au fil du temps, combien elle était attendue ou, si elle ne l’était pas, très souvent très bien accueillie, comme une manière d’ouvrir le lieu de la rencontre en remettant devant Dieu ce qui a été déposé et vécu.

Encore ce besoin d’ouvrir cet espace de la rencontre qui, s’il se fait dans la discrétion et le respect de la personne accompagnée, ne peut pas devenir le lieu d’une dépendance entre les deux interlocuteurs. Cela dit, proposer un temps de prière, c’est aussi savoir y renoncer si la personne ne le souhaite pas ou si le contexte ne s’y prête pas. Encore une question d’écoute active ! L’envoi de la communauté, le texte biblique pour référence et la prière partagée garantissent la liberté de la rencontre.

La juste place

Les professionnels de l’accompagnement et du soin savent combien il est important de maintenir une certaine distance avec la personne accompagnée. La distance professionnelle ne peut toutefois relever uniquement de la loi. Elle est un garde-fou et elle peut plus aisément se vivre quand la mission d’accompagnement s’accomplit en équipe et dans une certaine collégialité.

D’autre part, la distance ne peut se transformer en indifférence. Il existe heureusement des entraves à ces règles, car de manière exceptionnelle et dans un discernement souvent difficile et parfois dans l’urgence, les accompagnants engagent toute leur personne et leur vie pour cheminer et soutenir les plus vulnérables. Ces démarches marginales ne doivent pas rester isolées et doivent laisser un collectif prendre le relais ou aider à une relecture de la situation vécue.

Dans les institutions, la mise en place de plus en plus de cadres et normes, la réduction des moyens et la neutralisation des références, n’aident pas les professionnels à allier compétences professionnelles et vocation. Au risque que la personne accompagnée en pâtisse. Une professionnelle m’a dit un jour en parlant des résidents : « On les aime. » Oui, il y a de l’amour dans l’accompagnement. On ne les pleure pas comme des proches, mais on les pleure parce qu’on les a aidés et aimés.

Cette question de la distance dans le soin interroge directement la pratique des accompagnants spirituels et redit combien nombre d’accompagnants peuvent témoigner de l’enrichissement humain et spirituel qu’ils trouvent dans ce ministère.

La place de l’inattendu

Un jour une résidente de la Fondation John Bost me demande : « Joël, est-ce que je peux vivre ? » J’ai failli répondre : « Je ne suis pas compétent pour dire à quelqu’un s’il peut vivre ou pas. » Mais ce n’était pas la question. Car nous venions de partager le récit de Pâques. Ainsi, l’écoute n’est pas seulement l’écoute de mots… Ne voulait-elle pas dire aussi : « Est-ce que ce message de résurrection, de vie nouvelle, me concerne moi aussi ? Moi qui suis malade, handicapée, est-ce que je peux vivre ? Alors que la société se demande si ma vie sert à quelque chose, ou quel est le sens de la vie des plus vulnérables, ceux appelés à l’époque « les inutiles » ou « les incapables ». »

Même si nous n’avons pas les réponses dans l’accompagnement spirituel, nous facilitons parfois, grâce à la Parole partagée, le commencement d’un chemin qui, s’il ne va pas toujours vers une guérison, apporte simplement et humblement un mieux-être, le temps d’une rencontre… Et parfois, c’est déjà beaucoup.