Propos recueillis par Sylviane Pittet

Pouvez-vous présenter en deux mots ?

Je m’appelle Sargez Benyamin, j’ai 51 ans et je viens d’une famille évangélique, issue du nord- ouest du pays. Mes deux grands-pères étaient pasteurs et je le suis moi aussi. Enfin, je l’étais, car j’ai quitté l’Iran il y trois ans.

Quelle est la condition des chrétiens en Iran ?

Celle d’une minorité. On estime qu’après la révolution islamique de 1979 et suite à la guerre Iran-Irak qui a succédé, leur nombre est passé de 200000 en 1973 à 120 000 en 1994. Pour ce qui est des protestants, la première Église protestante est créée en 1834 dans le nord-est de l’Iran et en 1876, c’est la première Église en langue farsi qui voit le jour à Téhéran.

Quelles communautés représente le Synode de l’Église évangélique en Iran?

Depuis ses débuts, le Synode compte l’Église évangélique assyrienne, l’Église évangélique perse et l’Église évangélique arménienne. Durant huit ans, j’ai été le secrétaire général du Synode et ensuite pasteur de la paroisse farsi à Téhéran pendant six ans, jusqu’à sa fermeture.

Avez-vous été contraint de mettre la clé sous la porte ?

D’abord, les Églises pentecôtistes ont fermé, puis les Assemblées de Dieu. Les paroisses du Synode étaient les dernières à cesser leurs activités. C’était en 2014.Le Synode n’ayant pas obtenu l’enregistrement en tant que communauté religieuse, il a été dissous. Nous ne voulions pas le supprimer, qui serait prêt à le faire ? Nous étions choqués, c’était une période terriblement difficile.

Personnellement, avez-vous craint pour votre vie ?

J’ai été accusé de partager l’Evangile avec les musulmans. C’est le Gouvernement qui m’a conseillé de me cacher ou de m’exiler. J’ai fui avec ma femme et nos deux filles en Arménie. J’y suis resté deux ans avant de partir, voilà un peu plus de six mois, pour Nüremberg, en Allemagne.

Pour quelles raisons les communautés religieuses représentent-elles un danger aux yeux du gouvernement ?

Si la majorité des Iraniens accepte les chrétiens, le régime a un vrai problème avec eux car ils proposent une alternative. Les Protestants, en particulier, présentent
quelque chose d’autre, et c’est ce qui rend le régime anxieux : il ne veut pas de ça, pas de cette simple relation au Dieu du Nouveau Testament. Car c’est tout ce que
nous prêchons : l’ouverture et la relation à Dieu. Vous savez, les Iraniens sont fatigués, harassés, les jeunes en particulier. Comme ils aimeraient vivre autre chose, certains viennent à Dieu.

C’est le cas en Iran ?

Oui, il y a un nombre croissant d’Églises de maison, qui fleurissent dans tout le pays. Le Gouvernement le sait mais n’arrive plus à contrôler cette expansion. A l’extérieur, le régime veut donner une bonne image d’ouverture, mais l’Iran est devenu comme la Corée du Nord. Entre 2007 et 2017, on estime que le nombre de
gens qui surveillent les chrétiens a été multiplié par 400 !

Que faites-vous en Allemagne ?

Je travaille auprès des réfugiés iraniens persanophones. La majorité d’entre eux sont jeunes et ils arrivent en Europe dans l’espoir de réaliser leurs rêves. La plupart
sont heureux de ce qu’ils trouvent en Allemagne : se sentir libre de pouvoir s’exprimer, de dire ce qu’ils pensent et ressentent. C’est ce qui m’a surpris : un grand nombre de jeunes iraniens très éduqués n’ont pas été convaincus par l’islam et beaucoup ont quitté le pays, non pas pour des raisons économiques comme je le pensais avant de venir en Europe, mais pour être libres.

Comment voyez-vous le futur de votre pays et le vôtre ?

Je vois une nation qui a espéré, énormément espéré, et qui, petit à petit, a déchanté. Les Iraniens sont allés de déceptions en déceptions au désespoir. Ils sont exténués, éreintés, ils n’en peuvent plus. Pour ma part, je poursuis mon chemin et j’ai hâte que ma famille puisse me rejoindre en Allemagne. Quant à mon Église, je suis sûr qu’elle va être un modèle pour l’Église au Moyen Orient.