Au moment où Marc rédige son évangile, les chrétiens ont déjà commencé à avoir des problèmes. Ils proposent un type de vie qui est radicalement différent des autres propositions. Ce type de vie est suffisamment différent pour s’opposer au judaïsme dans sa forme de l’époque, parce que ce judaïsme s’était enfermé dans un type de religiosité qui lui faisait proposer de temps en temps de compromissions avec l’envahisseur romain. Ces Juifs convertis au Messie Jésus, ou ces païens de toutes origines, convertis encore plus à un Messie qu’ils n’attendaient même pas, se retrouvent dans une situation où ils sont en danger. Ils sont en danger parce qu’ils ne veulent pas se conformer au temps présent. Ils ne veulent pas se conformer à la pression du Temple et des prêtres, dont quelques histoires du Nouveau Testament nous font penser qu’elle était devenue plus économique qu’autre chose : il fallait d’abord acheter des animaux pour faire des sacrifices et entrer dans un système qui était devenu tout autre chose que ce que le Père avait prévu au commencement. Cela avait profondément agacé Jésus. Ils ne voulaient pas non plus se conformer à ce monde, à cette paix romaine, la Pax Romana, cette paix qui consistait finalement à rentrer dans un apparent respect universel de tous les dieux du bassin méditerranéen, puisqu’à chaque fois qu’un peuple était conquis, on rajoutait un temple à ce dieu du côté de Rome ; et comme ça César avait l’assurance d’être, au bout du compte, le seul à être vénéré, tandis qu’il laissait les peuples s’agiter devant leurs « dieux ».

Les chrétiens comprennent qu’il y a dans cette tolérance très militarisée quelque chose  qui ne convient pas. Quelque chose qui ne convient pas par rapport à ce que le Christ est venu apporter. Alors ces chrétiens vont être très rapidement en danger. C’est sûrement pour cela qu’un passage comme celui-ci dans l’évangile de Marc, et pour les lecteurs de Marc, va prendre une acuité très particulière. Parce que ceux qui adhèrent au message de Christ savent qu’ils prennent des risques. Pas simplement le risque de la foi comme nous l’évoquons dans nos sociétés relativement privilégiées, mais bien le risque… de leur vie. Ils risquent de devoir littéralement laisser leur vie pour avoir suivi le Christ. « Alors vous serez mes témoins » dit Jésus. Vous savez que ce mot témoin, dans la langue que Marc utilise, le grec, si nous le disons en français c’est mot martyre. Soyez mes témoins avec cette possibilité d’un prix à payer, qui est le prix du martyre. Voici donc une parole qui a été dite par le Christ et qui est entendue par ceux qui écoutent le témoignage de Marc comme quelque chose d’extrêmement présent, extrêmement actuel, parce qu’ils sont cette génération qui va prendre des risques et qui va permettre qu’à peine soixante ans plus tard la quasi totalité du bassin méditerranéen a entendu parler de Jésus-Christ ; et cela en refusant de prendre les armes, en refusant de s’opposer à ceux qui les battaient, qui les rouaient de coups, qu’ils soient dans les synagogues ou du côté des païens, notamment romains. […]