Très jeune, j’ai entendu parler de Tombouctou à cause de René Caillé, le seul blanc  à être revenu vivant de cette ville mythique en 1828.

Celui-ci  prit la route à partir du Sénégal (à l’époque le Soudan Français) où il apprit l’arabe, puis attifé en lettré musulman, il nota ses impressions de voyage dans son Coran…des récits anciens parlaient de toits couverts d’or, il ne vit rien de tout ça, juste une ville somnolente dans les sables du désert, ayant déjà perdu de sa superbe.

Et Tombouctou sortit de ma vie.

Ignorante des modes de vie du continent africain, j’ai été très fortement surprise de découvrir le fonctionnement d’un village soninké, peuplé d’hommes. Cette curieuse et improbable réplique, je la rencontrais à Aubervilliers, dans un « foyer de travailleurs migrants » devenu depuis « résidence sociale ». J’y ai travaillé 9 mois.

J’ai vu des dortoirs de 6 lits superposés où quand j’entrais porter le courrier, on m’invitait systématiquement à manger, j’ai souri aux nombreuses et interminables formules de politesse, j’y ai rencontré des hommes pieux, une marque ronde imprimée au front, signe des nombreuses prosternations et d’une indéfectible foi.

On m’expliqua que le Mali fut le premier pays noir à accepter la foi musulmane.

Je vis des chambres transformées en épicerie, d’autres en blanchisserie (boubou complet 7 €), des tailleurs derrière leur machines à coudre travaillant sur les paliers, des forgerons accroupis fabriquant des bijoux, les vendeurs de maïs à la saison.

J’ai assisté à des réunions où tous ces hommes réunis discutaient des décisions à prendre, chacun parlant à son tour, l’assistance ponctuant les paroles de sons que je me surprends parfois à utiliser, comme ces « héééééééééééé » de fin de phrases exprimant le contentement.

J’eu droit à une demande en mariage par un Monsieur de 70 ans, à un faux touareg qui avait passé toute sa vie à travailler dans une charcuterie industrielle.

Curieuse, je questionnais :

  • Pourquoi vous entassez-vous tous les vendredis dans cette minuscule salle pour la prière, alors qu’il ya une mosquée pas loin ?
    C’est des arabes, on n’a pas le même Islam.
  • Pourquoi Monsieur D est il si respecté ?
    Parce qu’il est noble.

On me parla des ethnies, des Bambaras, des Soninkés, des Peuls, des Touaregs, des Dogons…

On m’expliqua le système de castes, le noble, le griot, le forgeron et même de l’esclave, je compris mieux le mépris affiché dont certains se paraient tout en piétinant le sol mouillé qu’un pauvre gars venait de nettoyer.

Mais vous ne pouvez pas faire le tour ? Hé ! vous ne pouvez aussi arrêter de cracher le jus de bétel sur les murs ? Et de balancer vos cannettes vides par les fenêtres ?

Et toi,  Monsieur, arrête de m’appeler princesse en jetant tes épluchures de cacahouètes sur le sol de mon bureau !

Le même, le jeteur d’épluchures, arrogant  comme pas deux vint me voir un 13 juillet, je lui dis que le lendemain je ne serais pas là, que c’était férié… il  ne connaissait pas la raison. Je tins là un bon prétexte pour lui faire passer un message en lui expliquant sommairement ce qu’était le 14 juillet, puis vacharde lui demandais :

  • Vous savez ce qu’on leur a fait aux nobles ?
    Il ne savait pas.

Et bien on leur a coupé la tête !

Mis à part ces quelques désagréments, j’ai fait des connaissances riches et sympathiques et je garde contact, hormis le jeteur d’épluchures bien sûr.

Vivre ainsi, si loin de la famille, des femmes, constituer des caisses de solidarité pour envoyer au village, cette  hospitalité épatante même si c’est pour dormir dans le couloir. On n’abandonne pas un cousin, ce qui explique la surpopulation des foyers. Bien sûr, la place se monnaye, parfois la chambre est au nom de quelqu’un qui est mort depuis longtemps, nous ne sommes pas au pays des bisounours.

Plus tard, au Picoulet, lorsque j’appris la mort du musicien Malien  Ali Farka Touré avec sa kora aux notes bleues, que j’avais écouté en boucle avec l’album « Talking Tumbuctu », je demandais à Aminata si nous ne pourrions organiser une soirée en sa mémoire ; en invitant les messieurs du foyer tout proche, et en visionnant le film de Martin Scorsese « du Mali au Mississipi » à la recherche des racines du blues.

Elle me répondit  qu’ils ne viendraient pas. Pourquoi ?

Parce qu’Ali Farka Touré est Songhai.

Rien n’est simple. Un pays,  des peuples, des langues, la même religion en majorité mais pas les mêmes coutumes (la destruction récente des mausolées des saints vers Tombouctou par les Islamistes d’Ansar dine, l’autodafé des livres de l’antiquité, tout ça c’est Haram…), la guerre n’arrangera pas le paysage, les Dogons sont des mécréants aux yeux de mes amis Soninkés, on m’a aussi raconté que les Bambaras vendaient les Soninkés du temps de l’esclavage…

Mais je voudrais dire à Samba, à Siré, à Bouba que faire leur connaissance, et partager ces moments avec eux et bien c’est que du bonheur.