Philon

On peut être sincèrement convaincu par ce qu’on dit et ne pas savoir en quoi cela pose problème ou même est carrément faux. La sincérité n’est pas un gage de vérité. Heureusement que l’incrédulité des autres, quant à ce que nous prétendons avoir expérimenté, vient interroger et même remettre en cause notre certitude solitaire. Il y a un sens commun ou un bon sens qui est la chose du monde la mieux partagée. Lorsqu’on s’en écarte, les autres sont là pour nous rappeler à l’ordre et nous faire sortir de notre illusion.

Socrate

Et pourtant notre certitude intérieure est aussi un critère de vérité. Dans quelques cas privilégiés, elle ne se laisse pas contester par le fait que les autres ne croient pas aux paroles avec lesquelles nous la leur exprimons. Je pense à la conviction du chercheur scientifique face à sa découverte ou démonstration, à celle de l’amoureux, habité par le feu de son sentiment, au combattant pour la justice, sûr de son droit, enfin au croyant, certain des miracles que sa foi rend possible.

Philon

C’est sur ce dernier point que je serais le plus dubitatif. Prenons l’exemple de Marie de Magdala qui pensait avoir vu Jésus ressuscité et qui l’a raconté aux autres disciples. Après tout, elle partage sa foi avec ceux qui ont, eux aussi, cru en Jésus et entendu ses paroles. Comment ne commencerait-elle pas à douter de sa vision, lorsque les autres disciples refusent de la croire ? Impossible de continuer à être certain, dans son coin, lorsque ceux qui sont au plus près de nos convictions nous mettent en garde contre nos prétendues expériences. Le surnaturel est un domaine risqué où on fait bien de ne pas trop s’aventurer, de peur de finir seul ou d’entraîner les autres vers le délire.

Socrate

Le plus sage est en effet de ne pas insister pour convaincre les autres. Marie de Magdala a dû se taire pieusement pour ne pas attirer sur elle la raillerie ou pour ne pas être privée de sa certitude personnelle. Selon les évangélistes, Jésus s’est ensuite chargé lui-même de se montrer aux disciples incrédules. Ce récit dit combien la parole d’un témoin n’aurait pas suffi à les convaincre et qu’il valait mieux, pour elle, arrêter de parler dans le vide. Elle sait qu’il faut voir pour croire, expérimenter de manière réelle pour adhérer, au lieu de croire sur parole. Même les convictions religieuses ont une base expérimentale. De sorte que si notre parole n’est pas crue, le mieux sera de garder le silence et de garder le cap. Comme pour le savant, l’amoureux ou le justicier qui creusent leur sillon, poursuivent leur quête, certains qu’elle portera des fruits auxquels on reconnaîtra la vérité de leur certitude, mieux qu’à leurs paroles.

 

Le coin de la psy – Arlette Haessig, psychologue

 

Nous avons tous déjà vécu l’expérience de ne pas être cru. Enfant, cela peut être un « c’est pas moi », qui est injustement nié par notre entourage – ou lorsque nous sommes adultes, un « j’ai mal » balayé par un « c’est rien » ou « c’est dans ta tête ». Diverses émotions ou ressentis peuvent alors nous traverser, tels que frustration, colère, tristesse, sentiment d’injustice… Ces situations sont toutes très différentes et il n’y a pas de réponse simple et unique à la question « que faire ? », car elle dépendra des personnes impliquées, de leur histoire, de leur sensibilité. Avant toute chose, il est important de ne pas nous laisser submerger par nos émotions et de différer notre réponse. En effet, répondre avec agressivité ne pourrait qu’envenimer la situation, voire couper la communication. En restant calme, nous pouvons essayer une toute autre stratégie qui est celle de la clarification et de l’explication. En effet, « ne pas être cru » s’inscrit dans le cadre de la communication qui a trois pôles, celui qui parle, le message émis et notre interlocuteur. Selon Bernard Werber, il y a dix possibilités que nous ayons « des difficultés à communiquer » et donc de nombreuses possibilités de ne pas être compris et cru. En restant en communication, nous pourrons questionner notre vis-à-vis sur ce qu’il a compris. Nous aurons probablement à reformuler, à nous affirmer, voire à apporter des preuves. Nous pourrons ainsi expliquer notre position, relativiser notre avis, trouver un compromis, voire accepter la position de notre interlocuteur. L’important est ici de ne pas couper la relation. La situation est plus complexe lorsque la douleur d’un malade est niée ou lorsqu’une victime d’abus n’a pas ce retour « oui, je te crois ». Il est important pour eux de chercher et de trouver les professionnels qui apporteront foi à leurs paroles et le soutien nécessaire. En effet, le fait de ne pas être cru peut renforcer la détresse de ces personnes, ou les faire douter de la validité de leurs émotions et de leurs perceptions. Les évangiles ne nous disent pas ce que les femmes ont fait à Pâques pour convaincre les disciples incrédules. Et comment pouvaient-elles expliquer un fait aussi incroyable ? Nous pouvons seulement lire que Pierre a couru au tombeau et Thomas a demandé à voir la marque des clous. Face à l’incroyable, l’un a pris le risque d’aller voir si c’était vrai et l’autre a demandé que la vérité se présente à lui. Patience, courage, parfois il faut du temps à notre interlocuteur pour croire à nos paroles !