Joël Oberlin, médecin psychiatre en hôpital psychiatrique public, le reconnaît : la psychiatrie a longtemps eu mauvaise presse. « Je fais partie de ces médecins qui disaient pendant leurs études : “moi, psychiatre, jamais !” ». C’est la rencontre avec un psychiatre, lors de son internat, qui a pour lui été déterminante. « Après 20 années passées à l’hôpital de Rouffach, en Alsace, d’anciens patients qu’il avait accompagnés alors qu’il était médecin à Marseille continuaient à venir le voir pour leurs consultations. Il avait une approche humaniste, un regard différent de ce qui se pratiquait habituellement, combinant la psychiatrie, la neuropsychologie, une approche psychothérapeutique… Il osait aborder les problématiques multiples et ne réduisait pas son approche au soin médical et médicamenteux ».

Sortir de l’enfermement

Aujourd’hui chef de pôle à l’hôpital de Rouffach et président de la conférence régionale des présidents de commissions médicales d’établissements de psychiatrie d’Alsace, Joël Oberlin a été témoin des évolutions de ce secteur de soins. « Nous avons vécu de fortes évolutions des concepts en psychiatrie générale ces 15 dernières années qui ont vu une conjonction des hypothèses et permis une plus grande adaptation à la personne du malade. Nous différencions aujourd’hui beaucoup plus entre troubles de l’humeur, troubles émotionnels ou troubles des conduites, par exemple. Cela a été déterminant dans l’adaptation des soins. Dans les années 1980, un patient présentant de premiers symptômes allait de façon systématique recevoir un traitement médicamenteux. Si les symptômes persistaient, le recours à l’hospitalisation pour l’isoler était une voie classique. Ce parcours était enfermant et ne permettait pas une adaptation à la vie en société. La psychiatrie asilaire n’avait pas d’avenir. L’Italie a franchi le pas, dès les années 1970, en fermant progressivement tous les hôpitaux psychiatriques pour des parcours de soin de santé mentale dans des structures plus petites, mieux intégrées dans la communauté ».

Lutter contre la stigmatisation

Les structures se sont également adaptées en France, en évoluant petit à petit du secteur sanitaire vers le champ médico-social et en redonnant progressivement de l’autonomie aux patients. « Le meilleur parcours pour un patient, c’est le maintien à domicile et dans son réseau social et professionnel. L’hospitalisation ne doit intervenir qu’en cas d’urgence. Il faut ensuite mettre en place le plus rapidement possible des dispositifs pour l’accompagner : hôpital de jour, activités thérapeutiques, suivi à domicile, équipes mobiles de soignants, aide médico-psychologique ou éducative… Tout le monde peut, à un moment donné de sa vie, souffrir de tels troubles ; la crise que nous traversons depuis l’émergence du Covid le montre bien. Mais oser en parler reste difficile… »

Se soucier du bien-être de la personne

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) promeut l’attention portée à la santé mentale dans la communauté. Il ne s’agit pas seulement de « soigner les malades », mais de prévenir, d’accompagner, de rechercher, de se soucier de l’état général de la population. Cette démarche est portée en France par l’hôpital de Lille qui est reconnu comme Centre collaborateur de l’OMS (CCOMS) pour la recherche et la formation en santé mentale. Ce CCOMS propose des formations à destination des médecins, des psychologues et des personnels soignants, mais également des patients. Il valorise ainsi la participation des usagers dans les établissements de santé et la sensibilisation du grand public.

Face à ces évolutions de la prise en charge, Joël Oberlin souligne cependant les limites : « la principale difficulté est aujourd’hui une affaire de moyens financiers afin de maintenir les dotations des établissements de santé pour un véritable accompagnement des personnes ».