En ces temps oubliés, la figure du vieillard inspirait même les poètes, tel Victor Hugo qui, dans La Légende des Siècles, n’hésitait pas à écrire : «  L’on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens. Mais dans l’œil du vieillard, on voit de la lumière. » Ce terme de « vieillard » qualifiant les hommes et les femmes approchant les 70 ans (la « septantaine », disait-on alors) sera, à partir des années cinquante, peu à peu battu en brèche car jugé trop stigmatisant.

Ainsi, en 1955, le grand gériatre Léon Binet substitue pour la première fois dans son Précis de gérontologie, l’expression « personne âgée » au mot « vieillard » pour, semble-t-il, donner une meilleure image. Derrière ce recul discret d’un mot se cache, en fait, le début de la stigmatisation d’une communauté de personnes à laquelle on ne reconnaît plus une réelle valeur. Vision aujourd’hui d’autant plus grave – et même cruelle – que l’espérance de vie est de 78,4 ans pour les hommes et de 84,8 pour les femmes ! Ainsi, le désamour né après la dernière guerre mondiale s’est peu à peu affirmé… et dans un silence total. Le premier cri nous le révélant, avec stupéfaction et même honte, fut poussé en 2003, après la canicule et son triste bilan. En effet, faute d’aide et d’accompagnement adaptés, 15 000 personnes âgées ont trouvé la mort en France. En Belgique, pays pourtant confronté au même phénomène, personne n’avait perdu la vie. Des décisions pour éviter un tel désastre furent alors prises en France, mais elles étaient surtout portées par l’autorité publique et non par les citoyens.

Le plus fort taux de suicide d’Europe

De fait, le désamour envers les personnes âgées ne disparut pas, mais continua, au point qu’en 2018 même les facteurs furent sollicités pour briser leur solitude lors de leur tournée postale. Cette même année (2018), la presse, informée par les travaux du Comité consultatif national d’éthique, se décide, enfin, à alerter et questionner notre société.

« Derrière ce recul discret d’un mot se cache, en fait, le début de la stigmatisation d’une communauté de personnes à laquelle on ne reconnaît plus une réelle valeur »

Ainsi le journal Le Monde, sous le titre « La société française maltraite ses vieux », fit en mai dernier – chiffres à l’appui – le point de la solitude et de la misère sociale vécues par les vieillards. En octobre, l’hebdomadaire Le Point alla encore plus loin en posant ces questions : « Peut-on encore vieillir en France ? Pourquoi traite-t-on aussi mal nos aînés ? » S’appuyant sur des statistiques rigoureuses, l’hebdomadaire avançait l’hypothèse d’un déni collectif. Et il rappelait que la France détenait le plus fort taux, en Europe, de suicide des plus de 75 ans !

Alors dans un tel contexte, comment aborder le thème de la dignité des personnes âgées quand on sait, pourtant, que notre nation affirme depuis 1948 au travers de la déclaration des droits de l’Homme « l’égale dignité de toute vie humaine » ? Comme le suggère le journal Réforme dans une édition de ce début d’année : la dignité ne peut s’affirmer que dans un changement total du regard : celui de la société, celui des personnes en responsabilité, celui de chacun d’entre nous, jeunes et vieux. Alors à nous tous de développer enfin un regard d’humanitude.

Chantal Deschamps, médiatrice en santé