Comment oublier ces jeunes agriculteurs du Bordelais, endettés jusqu’au cou, venus à Paris crier leur angoisse et dont l’un pressait sa cheville touchée par un tir de Flash Ball ?

Comment oublier ces prolos normands vêtus du gilet jaune nous demandant amicalement la raison de son absence sur notre dos. « Notre couleur, c’est plutôt le rouge ! » S’en suivit un échange fraternel de près d’une demi-heure.

Comment oublier ces femmes visiblement épuisées, mais debout, luttant pour leur dignité, et tant présentes dans tout ce mouvement ?

Comment oublier ces curés tous droits sortis de Saint-Nicolas-du-Chardonnay, avec soutanes et crucifix, au milieu des barricades et des lacrymogènes sur les Champs-Élysées, image vivante des ambiguïtés et des curiosités de ce mouvement ?

Comment oublier ce « pasteur en colère », ainsi qu’il était indiqué sur son inévitable gilet ? Venant du Tarn, il nous parle alors des difficultés des paysans et de l’incompréhension de bon nombre de ses paroissiens.

Comment oublier cette soif de dialogue, de démocratie, de prise en main de ses affaires par tous ? Comment oublier cette chaleur retrouvée ? Cette aspiration à ce qu’en d’autres temps on appelait autogestion ?

Comment oublier enfin ces regards, ces bribes de discussion, ces envies de fraternisation avec policiers et gendarmes, parfois hargneux, hostiles, souvent perdus, par moments chaleureux et complices, et qui, sous l’uniforme, sont des travailleurs et des hommes et des femmes, nos frères et sœurs partageant notre humaine condition et vivant sous la même grâce universelle.