Comme ancien professeur, mon premier réflexe a été de parcourir les manuels de formation à la prédication pour voir ce qui est dit de l’humour en chaire. La récolte fut maigre ! Seul un professeur de tradition réformée évangélique a écrit un paragraphe sur l’humour dans son Précis de prédication chrétienne. Or, la moitié de son propos est consacrée aux précautions qui s’imposent dans un milieu qui use beaucoup d’anecdotes et autres histoires destinées à faire rire mais qui peuvent agacer, blesser et surtout dénaturer le message évangélique. Qu’est-ce à dire ? Que dans la tradition protestante l’humour est à manier avec prudence voire à proscrire ?

De la figure de style

La première remarque que je peux faire est que l’humour, comme figure de style destinée à plaire, est à distinguer de l’ironie qui dit le contraire de ce qu’on veut dire, plus pour railler l’autre que pour l’édifier. L’humour, au contraire amplifie ce qu’on veut dire, met en valeur l’autre par un trait d’esprit qui lui revient. Lors du culte d’inhumation d’une vieille amie, j’ai rapporté l’anecdote suivante : le matin de son départ pour subir une opération dont elle ne se relèvera pas, elle était comme d’habitude très élégante et portait sa petite valise : C’est comme si je partais en vacances, nous lança-t-elle. On ne savait pas que ça serait pour des grandes vacances chez son Père céleste qui, de toute façon, disait-elle à tous, l’attendait puisqu’elle était prête ! Beaucoup ont souri et, à la sortie du culte, m’ont dit combien ce trait d’humour correspondait bien à la personne. Alors qu’avec l’ironie le prédicateur a tendance à se prendre au sérieux, avec l’humour c’est l’autre qu’il prend au sérieux.

Au ressort du texte

La seconde remarque consiste à dire que parier sur l’humour propre aux textes bibliques peut être tout aussi performant que l’humour du prédicateur pour accrocher l’auditoire de manière plaisante. À bien y regarder, bon nombre de textes bibliques contiennent des traits d’humour : d’une part, parce qu’ils sont souvent réalistes en évoquant des situations concrètes et en se servant d’un langage simple (les paraboles) ; d’autre part, parce que la manière d’enseigner de type prophétique, de Jésus par exemple, met souvent l’auditoire en position de devoir chercher, deviner et découvrir la vérité cachée derrière l’histoire racontée. Prenons deux exemples : la parabole de l’ami importun de Luc 11.5-8 qui vient réveiller son voisin, dont la famille est déjà couchée, contient tous les ingrédients de l’humour : la situation est concrète et comique, elle a pu nous arriver à tous et nous fait réagir, elle est porteuse d’un message paradoxal car l’homme dérangé ne se lève pas par amitié mais par devoir. Au prédicateur, bien entendu, de savoir mettre en valeur les traits d’humour contenus dans ce texte, soit en le rendant vivant, soit en l’illustrant par une histoire parallèle de son cru. Le texte de 1 Corinthiens 12.15-21 où les membres du corps se mettent à parler entre eux est une véritable mise en scène qui a dû faire rire les premiers destinataires de la lettre de Paul. Mais est-il susceptible de nous faire au moins encore sourire aujourd’hui ? Là encore, c’est le talent du prédicateur qui pourra tirer de son auditoire, non des larmes mais, la joie de découvrir que pour dire une chose aussi sérieuse que l’unité du corps ne peut se trouver que dans la diversité de ses membres ; Paul a conçu un petit théâtre de marionnettes où les membres du corps jouent ensemble en s’interpellant. En bref, l’humour en chaire est à utiliser comme le sel, ni trop, ni trop peu, pour susciter le plaisir d’entendre l’Évangile.