Tout en glissant pour la première fois un bulletin dans l’urne, une femme noire confesse: «Maintenant je peux mourir, je suis quelqu’un». Une autre s’approche et comme elle ne sait ni lire ni écrire, elle indique au préposé le candidat sur lequel porte son choix.

«Je vote pour le vieil homme», dit-elle avec une émotion mêlée de respect. La scène se déroule en avril 1994 dans un bureau de vote improvisé du Transkei, un bantoustan devenu province d’Afrique du Sud.

Elles viennent toutes deux de voter pour «Madiba», soit Nelson Mandela qui a passé presque le tiers de son existence en prison et que plus de vingt-sept années d’incarcération ont fait mûrir comme aucun combat électoral.
Cet homme n’a en effet pas recouvré la liberté quatre ans auparavant avec quelque esprit revanchard, bien décidé qu’il était de faire payer  à ses anciens ennemis le prix de l’apartheid.

«Pas en prophète, mais comme votre humble serviteur»

Loin de là. Et si certains en doutaient, c’est qu’ils n’ont pas prêté attention à ses paroles prononcées le lendemain de sa libération, le 11 février 1990: «Amis, camarades, mes chers compatriotes, je m’adresse à vous au nom de la paix, de la démocratie et de la liberté pour tous. Je suis ici non pas en prophète, mais comme votre humble serviteur».
Devenu président, il aurait pu, sans aucun doute, être nommé à vie, s’accrocher au pouvoir comme le vieux Robert Mugabe avec les funestes conséquences que l’on sait. Mais le pouvoir personnel n’a pour lui jamais représenté l’essentiel, à l’inverse du devenir de cette nation multicolore à laquelle il appartenait. […]