Nous en faisons tous l’expérience, le pardon est difficile à accorder. On présente parfois le pardon comme un commandement moral sans tenir compte de la dynamique psychologique et spirituelle complexe qui l’accompagne. Car le pardon n’intervient qu’au terme d’un processus long et souvent douloureux. Ce chemin du pardon est bien illustré par l’histoire de Joseph, un long récit qui se déroule sur près du quart du livre de la Genèse.

Au cœur de la réconciliation

Au centre du cycle de Joseph se trouve la question du vivre ensemble. Elle est formulée de manière paradigmatique par la mission confiée à Joseph par son père Jacob : Va voir comment se portent tes frères, littéralement « va t’enquérir de leur shalom ». Alors que ses frères jalousent leur cadet, alors que la haine empoisonne les relations de la fratrie, Jacob confie à son plus jeune fils cette mission impossible de restaurer le « shalom », de pacifier les relations familiales.
Cette mission va se transformer pour Joseph en une longue odyssée qui le mènera en Égypte, et qui trouvera son aboutissement dans une paix familiale retrouvée, grâce au pardon que Joseph accorder à ses frères. Ces derniers le savent bien, car après la mort de leur père, craignant une vengeance de leur frère, ils lui disent : Ton père a donné cet ordre avant sa mort : Vous parlerez ainsi à Joseph : « De grâce, pardonne le forfait et la faute de tes frères ».
Ce pardon, Joseph va finalement l’accorder à ses frères. Mais il ne le fera qu’au terme d’un long processus.

Un chemin pavé d’étapes

Tout d’abord, le pardon s’enracine dans la souffrance. Joseph est en butte à des épreuves douloureuses : le mépris et la haine de la part de ses frères, l’incompréhension de son père lorsqu’il parle de ses songes, le rejet de ses frères qui le vendent comme esclave, l’injustice subie lorsque la femme de Potiphar porte de fausses accusations contre lui, la trahison du grand échanson qui l’oublie en prison…
Toutefois, malgré ces souffrances, et c’est la seconde étape du pardon, Joseph garde confiance en Dieu. Il sait que les circonstances, fussent-elles douloureuses, n’échappent pas au regard et au plan de Dieu : ne soyez pas tourmentés de m’avoir vendu ici, car c’est Dieu qui m’y a envoyé avant vous pour vous conserver la vie… Ce n’est donc pas vous qui m’avez envoyé ici, mais Dieu. Pour Joseph, Dieu contrôle les affaires du monde, rien ne se passe sans son accord : de la pire des situations Dieu peut tirer un bien : Vous avez voulu me faire du mal, Dieu a voulu en faire du bien.
Malgré cette confiance en la bienveillance de Dieu, et c’est là la troisième étape, il y a toujours un prix à payer. Le pardon coûte. Pour Joseph, cela se traduit concrètement par le fait de renoncer à se venger, alors qu’il était en position de force par rapport à ses frères.

Un parcours fructueux

Si le pardon coûte, la réconciliation qu’il permet porte des fruits. Le fruit de la paix, le fruit d’une vie libérée du ressentiment et du désir de vengeance. Une vie apaisée. Pour Joseph, le pardon lui a permis de revoir son père et tous ses frères. Mais le chemin du pardon offre un autre fruit à Joseph. En lisant ce récit, on est surpris de constater qu’on ne parle que très peu de Dieu. Toutefois, alors que Joseph est en prison, une petite note dans le texte dit : Joseph était en prison… mais le Seigneur était avec lui. C’est ce Dieu présent dans la vie de Joseph, qui lui a donné la force d’avancer et finalement de pardonner.
Le pardon, tâche humaine et don de Dieu, se situe ainsi à la charnière de l’humain et du spirituel.