La figure d’Albert Schweitzer semble avoir pris le pas sur sa personne. Quelles sont les principales images d’Épinal que nous avons de lui ?

Schweitzer est à la fois connu et méconnu. L’hôpital de Lambaréné a éclipsé le reste de son œuvre. On voit en lui l’homme d’action, « l’humanitaire », l’ami des animaux ; on néglige le musicien ; on ignore généralement le théologien et le philosophe. On l’enferme dans des images convenues et des anecdotes pittoresques sans prendre la peine de le lire et de l’étudier. On perd ainsi quelque chose d’essentiel. Au fil des décennies, sa pensée, ample et profonde, a plutôt gagné que perdu en pertinence et en actualité.

On résume souvent sa pensée à un slogan, le « respect de la vie ». Mais qu’est-ce que le respect de la vie selon Schweitzer ?

Le mot « respect », que Schweitzer a choisi pour rendre l’allemand Ehrfurcht, prête à malentendu. Il ne désigne pas une attitude passive (s’abstenir de tuer, ne pas toucher à ce qui vit), mais un engagement actif au service de la vie.

Dans un rapide panorama des spiritualités depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, Schweitzer repère, sous une immense diversité de formes et avec quantité de nuances, deux grandes tendances.

La première trouve la réalité mauvaise et conseille de lui échapper, en se réfugiant dans la contemplation d’un au-delà, dans la culture de l’intériorité ou dans des pratiques ascétiques. Elle cherche Dieu et le bonheur loin et ailleurs, en dehors de la sphère de l’habituel.

Pour la deuxième, la réalité est bonne. Tout ce qu’apporte l’existence est bien, y compris les souffrances et les misères. C’est Dieu qui les veut et les envoie, elles sont donc positives, même si elles nous sont douloureuses. Le bonheur consiste à leur donner son adhésion, à y consentir. […]