Le protestantisme français, de Jean Calvin (1509-1564) à Jacques Ellul (1912-1994), a toujours manifesté une réticence forte vis-à-vis de l’image. Ellul n’hésite pas à proclamer que le règne triomphant de l’image dans la société contemporaine « humiliait » la parole et, par conséquent, la Parole elle-même. Au centre, la Parole On le devine, dans ce contexte, la tâche des artistes ou des critiques souhaitant articuler art et protestantisme n’est pas aisée. Une des voies possibles, prisée par le catholicisme, est de passer par la case « spiritualité », ce qui revient à gommer les frontières confessionnelles et à englober les différentes traditions dans un vaste ensemble, à savoir le christianisme. Une autre voie, encore plus englobante, est de considérer de manière très générale, à la suite du théologien luthérien Paul Tillich (1886-1965), que la culture est la forme de la religion et la religion le contenu de la culture.

Qui crée l’œuvre ?

Mais le même Paul Tillich a formu- lé de manière un peu étrange (en apparence) que le Guernica (1937) de Picasso (1881-1973), œuvre résolument anti-fasciste, est « une grande peinture protestante ». Il y aurait donc une manière spécifiquement protestante, indépendamment de l’origine confessionnelle de son auteur, de créer des œuvres artistiques et en particulier des peintures ? Tout dépend bien évidemment de ce que l’on entend par « protestantisme ». Paul Tillich attribue au protestantisme issu de la protestation de Luther une dimension prophétique, autrement dit une dimension critique (les 95 thèses de 1517) mais aussi auto-critique (selon la célèbre formule : la Réforme, toujours à réformer). Alors, à quoi ressemble une œuvre protestante ? Ma proposition est de se référer à un autoportrait d’Albrecht Dürer (1471-1528) qui, en 1500, s’est représenté en Christ. Toute l’histoire de la peinture protestante (Dürer, Cranach, Rembrandt, Van Gogh, etc.) est anticipée par ce chef- d’œuvre absolu : Christ, autoportrait et écriture.

Par Philippe François, pasteur