Exterminez toutes ces brutes, est une véritable œuvre au sens élégant du terme. Une épopée fulgurante qui entraîne les spectateurs dans un voyage de plusieurs milliers d’années – jusqu’à l’aube de l’humanité – à travers les pires pulsions de l’humanité en matière de suprématie raciale et de barbarie coloniale.

La série suit la colonisation et les multiples génocides, ainsi que leurs conséquences, reliées à l’impérialisme et au suprémacisme blanc : « Civilisation, colonisation, extermination. »

  • Dans le premier épisode de la série, La troublante conviction de l’ignorance, le cinéaste Raoul Peck se propose d’éclairer les courants entrelacés de haine et de sectarisme qui traversent l’histoire.
  • Dans le deuxième épisode, P*** de Christophe Colomb, Peck revisite les histoires de Christophe Colomb, de l’Alamo et de la Piste des larmes du point de vue indigène, montrant comment l’histoire « officielle » est façonnée par ceux qui sont au pouvoir, et solidifiée par le mythe et la culture populaire.
  • Dans le troisième volet de la série, Tuer à distance, Peck revient sur les migrations humaines, le commerce et l’armement, et montre comment les Européens ont utilisé l’industrie de l’acier pour mener la guerre toujours plus loin. Ensuite, il explore le cycle sans fin de la militarisation à travers les siècles – des efforts de George Washington pour relancer la fabrication d’armes américaines, à la doctrine Monroe, et enfin, aux horreurs des bombardements de civils à Hiroshima et Nagasaki.
  • Dans le final de la série, Les belles couleurs du fascisme, Peck explore l’impossibilité pour les États-Unis de concilier leur véritable histoire avec ses idéaux de liberté et de démocratie, mettant en lumière la lutte actuelle pour la représentation indigène et l’héritage de l’esclavage face au racisme institutionnalisé. Peck relie la résurgence moderne des nationalismes, à l’esclavage, aux génocides en Amérique, au colonialisme et à la Shoah.

Écrit, réalisé et raconté par Raoul Peck, le documentariste et cinéaste qui nous a déjà donné l’exceptionnel Je ne suis pas votre Nègre (2016) autour de l’œuvre de l’écrivain américain James Baldwyn où il était question de racisme et de lutte pour les droits civiques, sa nouvelle contribution commente les travaux de feu Sven Lindqvist, Michel-Rolph Trouillot, Harold Zinn et Roxanne Dunbar-Ortiz.

Trois ans de travail gigantesque pour parvenir à nous offrir ces quatre documentaires qui font véritablement œuvre d’histoire. À l’aide de ces chercheurs et de leurs écrits, il nous emmène dans un voyage historique sur la colonisation européenne, l’extermination des populations indigènes, des Noirs, des Juifs et des personnes de couleur, et la montée du capitalisme qui en découle. Il utilise également Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad, d’où est tiré le titre du film, pour illustrer le complexe de supériorité que les dirigeants blancs ont imposé au monde moderne.

Peck puise dans le cinéma, la peinture, la photographie, la musique, les images d’archives, et y ajoute des dioramas, des animations, des aides graphiques, des détournements anachroniques et des interprétations dramatiques. Il déchire, en quelque sorte, l’histoire de façon féroce et violente, mais avec la précision et la délicatesse d’un chirurgien avec son scalpel…

Peck fait lui-même la narration d’une voix rauque et tendue récitant les maux du génocide commis par l’homme contre l’homme – des monstres sous des masques humains. En quatre heures, cette production est bien plus qu’un simple film. Exterminez toutes ces brutes est plutôt un projet d’une immense portée et d’une puissante intimité. C’est une œuvre qui vibre à son propre rythme expérimental, richement académique ou douloureusement autobiographique, dans la même mesure.

Peck suggère très simplement que l’histoire est écrite par les vainqueurs.

Cette pensée n’est pas nouvelle, bien sûr. Mais à partir de là, il dissèque l’histoire et l’expérience du pillage des terres et de leurs habitants par la caste européenne. Peck propose de nous emmener à travers les fissures de l’histoire que l’art a trop souvent ignorées, mal interprétées, sur lesquelles on a menti, ou que l’on a aisément transformées.

Au-delà de sa narration documentaire, Peck fait appel à l’acteur Josh Hartnett dans les quatre épisodes pour incarner un être (ou plusieurs êtres ?) qui semble se déplacer dans le temps et dans l’espace, et représenter le colonisateur blanc.

Les cinéphiles auront également une mine d’images à consommer, de la séquence de l’homme préhistorique dans la comédie musicale On the Town, en passant par Les Aventuriers de l’arche perdue, Shoah de Lanzmann, Jurassic Park III, Le Magicien d’Oz, Le Triomphe de la volonté (film de propagande nazie tourné en noir et blanc par Leni Riefenstahl et sorti en 1935) ou encore les propres œuvres de Peck.

L’un de ses moments les plus mémorables survient très tôt, lorsque le son des discours d’investiture du président américain recouvre des images de champs de coton. Des récits graphiques et détaillés de la violence infligée aux Amérindiens sont mis en évidence par l’histoire de Geronimo, un homme qui a défié les colonisateurs américains et qui deviendra étonnamment, 150 ans plus tard le nom de code de l’opération qui a permis d’éliminer Oussama Ben Laden, en mai 2011.

Exterminez toutes ces brutes est une œuvre fascinante et sans fin. On pourrait dire que son message n’est guère nouveau. Mais ce que Raoul Peck en a fait est extraordinaire. Il y a de l’esprit, du style, de la grâce et des émotions qui en jaillissent. C’est évidemment désordonné et peut-être parfois alambiqué, mais c’est à l’image de l’histoire qui l’est aussi.

Voici une œuvre immense, essentielle… à voir et revoir !

  • Exterminez toutes ces brutes sur Arte.tv