Derrière ses allures totalement barrées et assumées, Annette ouvre des perspectives intéressantes pour réfléchir à la célébrité, à l’amour et au pardon. Mais seulement pour ceux qui parviendront à regarder au-delà et accepter le jeu quelque peu pervers du réalisateur et de ses acolytes musiciens. Un film unique qui ne ressemble à rien d’autre qu’à lui…

Los Angeles, de nos jours. Henry McHenry (Adam Driver) est un comédien de stand-up à l’humour féroce et Ann (Marion Cotillard) une cantatrice de renommée internationale. Ensemble, sous le feu des projecteurs, ils forment un couple épanoui et glamour. La naissance de leur premier enfant, Annette, une fillette mystérieuse au destin exceptionnel, va bouleverser leur vie.

On peut sans doute le dire ainsi, Annette est un film paradoxal… à la fois étrange et fascinant, plutôt simpliste sur le plan narratif et en même temps complexe sur le plan artistique. Il ravit par son côté enchanteur (au sens propre comme au figuré), poétique et l’émanance d’une forte sincérité mais il déroute tout autant par des choix répétitifs et des bizarreries scénaristiques. Finalement, c’est un bon condensé pour parler de Carax et des Sparks.

Tout commence, pour annoncer le début du fil, dans un prologue jubilatoire et plein d’autodérision pour donner le ton à ce qui va se dérouler sous nos yeux.  Ma la tonalité s’oriente rapidement vers le sombre, car ce qui se joue ici n’est clairement pas une comédie mais un drame fait de jalousie, d’amour, d’envie et de violence. Sauf que tout ça se fait toujours en chantant… Annette est une histoire d’amour tragique sur les périls de la célébrité. Mais c’est aussi, métaphoriquement (et parfois figurativement), une histoire sur ce qui pousse l’artiste à choisir de s’exposer, sur les monstres que deviennent parfois les hommes, sur la versatilité du public, sur les amours qui nous hantent et ne nous quittent jamais, et sur l’exploitation des enfants prodiges. On y parle aussi d’individus qui se détestent eux-mêmes et qui ont l’impression de ne pas être aimables, ce qui rejoint là un thème finalement assez classique aux Sparks. On pourra aussi apprécier la tendance finale qui pointe vers le questionnement du pardon et de l’oublie à partir du regard de l’enfant métamorphosé par la souffrance.

Finalement, il faut choisir de regarder Annette comme on se met devant un conte, comme on s’ouvre à la parabole. Accepter le jeu et les tactiques de celui qui tient les clés et vous raconte son histoire. Entrer dans la portée, et suivre les notes qui sonnent la tendresse et les blessures des tréfonds de l’âme humaine. Et puis, il faut noter que pour mettre en image ce qui est conte ou fable, l’univers visuel est primordial. Et en la matière, on est face à un travail d’orfèvre. Carax, qui a collaboré avec la directrice de la photographie Caroline Champetier, fait des merveilles une fois de plus. Enfin, Si Marion Cotillard est excellente, Annette c’est surtout la démonstration éclatante encore et toujours des talents incroyables d’Adam Driver, un comédien tellement surprenant de capacités et de justesse.

Puisque le cinéma est aussi là pour nous surprendre, nous donner, comme le mentionne une large publicité sur la Croisette de « porter un autre regard sur le monde », le choix d’ouvrir le rideau de ce 74ème Festival de Cannes avec ce genre de proposition est audacieux et réjouissant.