Les recompositions démographiques et culturelles qui marquent la métropole au cours des années 1970 n’ont pas produit immédiatement leurs effets sur la scène Gospel française. Jusqu’aux années Mitterrand, cette musique marquée par le protestantisme reste connotée comme nord-américaine. Il faut attendre la fin des années 1980 pour que le rapport au genre Gospel évolue, particulièrement en Ile-de-France. Il commence alors à s’hybrider plus nettement, et se réinterprète sur une ligne plus francophone et afro-caribéenne. Les concerts se multiplient, et de nouvelles chorales voient le jour, de plus en plus ancrées dans le terreau socio-religieux francilien.

La marque américaine ne disparaît pas pour autant. Le film états-unien Sister Act, grand succès à Paris en 1992, constitue de ce point de vue une « piqure de rappel » : l’actrice afro-américaine Whoopi Goldberg y campe une sœur catholique qui électrise une communauté un peu endormie aux rythmes d’un Gospel syncopé, télescopant au passage univers liturgique catholique et référentiel musical majoritairement connoté protestant. Gros succès au box office ! Certains critiques n’hésitent pas à parler de « film culte », et plus de deux millions et-demi de Françaises et de Français se précipitent pour voir cette comédie bien enlevée où les chœurs Gospel font swinguer les robes noires.

Une métaphore, une parabole interculturelle ? Il reste que dans le contexte du succès français de Sister Act, au début des années 1990, la musique Gospel entre dans le « tout-venant » franco-français et s’impose comme un « passeur » entre univers sociaux.  En témoigne notamment la création en 1994 du premier Festival de Gospel de Paris, sous l’impulsion de Narcisse d’Almeida. Organisé à l’Auditorium des Halles, au cœur de la capitale, il a été l’objet d’un album CD devenu aujourd’hui « collector ».

Cette popularité fracassante du Gospel via Sister Act, sous le sceau de la joie de vivre, de la rencontre interculturelle entre univers afro-américain et européens, catholicisme et protestantisme, s’effectue sur la base d’une religion chantée, dépoussiérée et entraînante. Une religion chrétienne rythmée en musique, axée sur l’espérance de l’Évangile (finies les chaînes !), où la voix des femmes compte autant que celle des hommes.

Deux phénomènes ont  particulièrement contribué à façonner les conditions sociales de cette évolution. D’une part, l’essor considérable des Eglises protestantes de type évangéliques. Elles passent d’environ 50.000 fidèles vers 1945 à 700.000 aujourd’hui(1). Or, ces Églises sont centrées sur le kérygme évangélique, qui constitue justement le cœur du Gospel. Guère étonnant, dès lors, qu’elles aient joué le rôle de booster ecclésial de ce genre musical ! L’autre paramètre est celui de l’afflux de l’immigration venue d’Afrique subsaharienne. Ces migrants étaient 20.000 en France après la guerre d’Algérie, ils sont environ 700.000 un demi-siècle plus tard(2). Or, ces migrants cumulent souvent référentiel chrétien et héritage colonial (esclavage), aliments de choix des paroles du Gospel. Ces deux facteurs (immigration subsaharienne, essor évangélique) se sont rejoints, à la fin des années 1980, pour donner une nouvelle visibilité au Gospel en France.

Désormais chanté par des chorales franciliennes francophones plus que par des « troupes » venues, à grand renfort de publicité, d’outre-Atlantique, le Gospel s’est démocratisé, européanisé, africanisé. La capitale parisienne n’a pas constitué qu’un décor urbain. « Ville-monde », Paris a nourrit des logiques d’hybridation et des synergies nouvelles, ouvrant sur le XXIe siècle.

(1) Voir Sébastien Fath, Du ghetto au réseau, Genève, Labor et Fides, 2005.
(2) Chiffres INSEE/INED.