La Bible nous le rappelle : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Que signifie s’aimer soi-même. Comment comprendre ce commandement ?

Dans la mythologie grecque, Narcisse est un homme d’une beauté rare qui est épris de son image qu’il cherche partout, dans les miroirs de bronze poli, dans les pièces d’eau et dans les fontaines. Un jour qu’il se contemple dans un étang, il est ébloui par sa propre beauté. Il veut la rejoindre, se jette dans l’eau et se noie. Les anciens l’avaient compris, une quête maladive de sa propre image conduit à la mort.

Dans le Premier Testament, une punition difficile à comprendre est celle que Dieu a infligée à son peuple en refusant à la génération de l’exode d’entrer en terre promise. On peut se demander quel a été la raison de cette décision : quand Moïse a envoyé des espions pour explorer la terre promise, ils ont fait un rapport dans lequel ils disaient : « Nous avons vu des géants, et nous étions à nos propres yeux comme des criquets. »

La faute des Hébreux est de s’être vu comme des criquets. Un peuple de criquets ne peut accéder à la liberté, car il ne s’aime pas.

Le problème de notre monde est qu’il y a beaucoup de Narcisse, et pas mal de criquets.

Narcisse s’aime tellement qu’il ne laisse pas beaucoup de place à ses prochains. Il faut toujours qu’il brille, qu’il soit dans la lumière. Il est tellement préoccupé par sa propre personne que les autres ne l’intéressent que pour ce qu’ils peuvent lui apporter.

Le criquet s’aime tellement peu qu’il ne veut surtout pas se faire remarquer. Il se dénigre lui-même et a peur de son prochain. Il a tellement peur de se singulariser qu’il se conforme au milieu dans lequel il vit.

Entre Narcisse et le criquet, nous pouvons entendre les affirmations de l’épître aux Corinthiens : « Vous êtes le temple de Dieu… vous avez été lavés, vous avez été consacrés, vous avez été justifiés… vous avez été achetés à un prix… » Dieu nous aime antérieurement à nos qualités et à nos actions. Il nous aime comme une mère aime son petit enfant. Il nous aime inconditionnellement, comme la prunelle de ses yeux.

Quand Jésus nous appelle à nous aimer nous-mêmes, ce n’est pas pour cultiver notre égocentrisme, mais c’est en réponse à l’amour que Dieu nous porte.

Le cogito cartésien dit cogito ergo sum, je pense, donc je suis. La Bible décale un peu l’affirmation en déclarant amor ergo sum, je suis aimé donc je suis. S’aimer soi-même, c’est recevoir cette parole au plus profond de sa personne.

Dans le roman le journal d’un curé de campagne de Bernanos, les dernières paroles du curé sur son lit de mort sont une belle confession de foi : « La grâce est de s’oublier. Mais si tout orgueil est mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même, comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ. »

Jésus nous appelle à nous aimer nous-mêmes, sans orgueil ni fausse modestie, et cela n’est pas plus facile que d’aimer son prochain.

Lorsque l’amour de soi est le fruit d’une conquête, il relève de l’orgueil ; lorsqu’il est reçu comme un don immérité, il est une marque d’humilité. Ce n’est qu’à partir du moment où nous nous aimons nous-mêmes, avec lucidité et reconnaissance, que nous pouvons à notre tour aimer notre prochain d’un amour authentique et libérateur.

Pour finir une opposition.

Une enquête a été faite auprès de lycéens dans laquelle on leur demandait ce qu’ils voudraient être quand ils seraient plus grands. Parmi les réponses proposées, les deux tiers ont choisi : « quelqu’un de célèbre ».

Qu’y a-t-il derrière cette réponse sinon une quête désespérée de trouver le sens de sa vie dans le regard des autres. À cette quête chimérique, la Bible répond : « Il y a quelqu’un pour qui, tu es célèbre, celui qui a dit : Je t’ai appelé par ton nom… tu as du prix à mes yeux. »

Production : Fondation Bersier / Texte : Antoine Nouis / Présentation : Gérard Rouzier