La justification par la grâce est un truc simple : pour être quelqu’un tu n’as pas besoin de te justifier. Pour être aimé tu n’as pas besoin de le mériter : c’est un cadeau, l’amour. Pour être reconnu on ne te demande pas ton diplôme. Pour avoir le droit de manger tu n’as pas à présenter une fiche de paie. Tu es toi, de plein droit. Devant Dieu.

Et devant les hommes ?

Quand le moine Martin Luther remet ce message en circulation c’est le début du XVI e siècle. Un temps où l’Europe après guerres, pestes et famines, vit dans l’obsession de la mort et le rêve d’un monde meilleur promis après la mort. Rêve de paradis, mais rêve gâché par l’examen d’entrée destiné à réserver ce paradis aux seuls justes. D’où la grande question posée à tous les mortels : comment être juste devant Dieu ? Dieu est un juge, l’homme est l’accusé, le Juge est juste et l’accusé présumé coupable depuis sa naissance : la cause est entendue d’avance. Et la sentence dépasse les effets d’une mauvaise note, car si tu n’es pas reçu au paradis tu vas en enfer ! Ou au purgatoire – un séjour du type goulag de l’au-delà. Dans ce climat, puisqu’on ne peut pas gagner par mérite, il faut bien trouver des combines. Et l’Église en offre une : les Indulgences, un papier qui vaut réduction de peine. Ça se vend comme un permis de séjour illégal. Et ce commerce de la religion produit un miracle : sortir des sommes très grosse de bourses très petites. L’ensemble fait jaillir aux yeux de Luther les ressources de cette phrase de Paul : « le juste vivra par la foi ; le juste par la foi vivra : l’humanité vivra d’être juste par la foi (*) ».

La foi c’est l’organe qui accepte la grâce. Plus besoin d’indulgences ou de pénitences, fini la religion de la peur ! Seulement, au XXI e siècle, parler de la grâce qui libère à des gens qui n’ont plus peur de l’enfer mais qui voient des enfants attraper des cancers ou se faire estropier par des assassins bénis d’un dieu vampire, c’est un peu décalé ! Alors dans la vie réelle être sauvé par Dieu ça veut dire quoi ? Être sauvé par la grâce ça change quoi ? Pour les gens qui croient que Dieu existe et que Jésus ce n’est pas du cinéma, ça change le sens de la vie. Et ça donne du sens à l’après-vie !

Mais pour les autres ? Les autres ne croient plus au Juge céleste, mais la fonction s’est démocratisée et le jugement a lieu à tous les carrefours : par le salaire (justifier d’un salaire régulier), les codes vestimentaires ou alimentaires, l’habitat, le milieu social, les loisirs… chacun doit faire ses preuves : se justifier aux yeux de tous. Et finalement, se laisser caser à un rang qui va du piédestal au pilori et qu’on appelle statut. Le jugement a perdu en superstition mais pas en obsession.

Cependant la prédication de la grâce n’est pas restée sans effet : la fonction de juge s’est démocratisée mais la miséricorde aussi ! On voit des gens sans gloire ni prétention adopter l’assassin de leur enfant, pardonner les pires cruautés aux hommes, ces brutes, et à Dieu les plus insupportables malheurs : rendre grâce, rendre la grâce qu’ils ont reçue. Assurément la grâce sauve. Pas sûr qu’elle nous protège des autres – c’est le rôle de la loi. Elle nous sauve de nous-mêmes et nous grandit. Elle donne la force de vivre et d’aimer envers et contre tout.

Protestants 2017 PFP