Le protestantisme est le produit et l’acteur d’un temps où se sèment les graines de notre démocratie moderne.

Dans la lignée d’un humanisme catholique qui le premier se met à traduire la Bible en langue populaire, le protestantisme pose un certain nombre de gestes qui en sont des bases. Il sème des bons grains et de l’ivraie… mais encore des herbes folles qui toujours bousculent la démocratie qui s’endort.

La première base est la désacralisation du monde, comme le souligne Michel Bertrand (voir page 18). Dieu ne se révèle plus dans le monde et un soi-disant ordre divin mais dans la seule parole. Tout devient relatif, tout peut se discuter – jusqu’à aujourd’hui : les formes de la famille, de ce qu’est être un homme ou une femme – éclairé par la parole. Le roi n’est plus Dieu mais son serviteur, il doit être à la hauteur de sa tâche. De l’écossais John Knox à Calvin, on théorise la légitimité de résister au roi méchant. Cet apport est durable : quand l’église confessante en Allemagne résiste à l’État nazi, c’est au nom de sa relativité, car le chrétien n’a qu’un seul guide (Führer), le Christ. Transformer l’État en église et l’église en autre chose qu’une réalité humaine relative devient une idolâtrie. Il n’y a donc plus d’autorités naturelles : elles n’ont pas à exiger à être respectée : elles doivent se faire respectable.

Le sacerdoce universel

Puisque chacun est prêtre, chacun est légitime à chercher la vérité et l’interpréter pour dire la loi. Certes, il y a diversité de vocations et de charismes. Certains ont davantage les qualités pour en faire une activité plus régulière. Mais c’est pour être au service d’une société où chacun est légitime à donner son avis, à être entendu et à avoir accès aux textes qui règlent tout : la Bible, plus tard la constitution ou les déclarations des droits fondamentaux. La traduction de la Bible dans des langues compréhensibles par chacune et chacun, son impression et l’impression des pamphlets de Luther, tout comme le geste d’afficher en place publique 95 thèses résument ces bases et en posent une autre : l’espace public de la délibération. S’il n’y a plus d’autorité naturelle pour dire l’ordre des choses, alors qui ? Ces gestes et la diffusion des débats disent que, désormais, la décision qui réglera la vie de la communauté naît du débat, de l’échange au vu et au su de tous et toutes, avec la possibilité de chacun – y compris du vulgaire – d’y participer.

L’espace public

Naît donc ce que le philosophe Jürgen Habermas nomme – même si, pour lui, cela ne viendra qu’avec Les Lumières – un espace public, un principe de publicité qui est le contrôle qu’oppose le peuple (d’abord la bourgeoisie) au secret de la décision du pouvoir absolu. Naît une opinion publique, sans laquelle n’existe pas de démocratie. Certes, il n’est pas question de démocratie ni avec Luther, ni avec Calvin et le chemin est long qui mène aux Lumières, au suffrage universel masculin en 1848, au féminin en 1945 et… à la démocratie participative. Mais les villes suisses passent (ou non) à la réforme à la suite d’une disputatio, où les deux options sont présentées lors de débats publics. Naît du même coup la diversité des opinions sans laquelle il ne peut y avoir de démocratie. Dans le Béarn de Jeanne d’Albret, mère d’Henri IV et créatrice à Orthez d’une des premières facultés de théologie protestante romande, la biconfessionalité est d’abord autorisée. Certes, cela ne dure que le temps qu’éclate le conflit avec la France catholique voisine. Certes, la Genève de Calvin ne sera pas exemplaire en la matière comme le rappelle les tristes affaires Servet et Castillon. Quant à Luther, il ne soutiendra pas la polémique jusqu’à tolérer la révolution théologique, sociale et politique menée par Thomas Münzer à la tête de la Ligue des justes alliant paysans et mineurs. Mais les graines de la démocratie moderne sont semées.

Lutte contre la perversion toujours possible

Mais au bon grain semé se mêle l’ivraie, aussi vrai que, comme le rappelle Paul Ricœur dans Le paradoxe politique, « le pouvoir déroule le même paradoxe, celui d’un double progrès, dans la rationalité et dans les possibilités de perversion ». Ainsi, la désacralisation du monde transforme la nature en simple ressource à disposition de l’humain. Les choix démocratiques se décident entre parties mais au risque que cela se fasse au détriment d’un « tiers absent » – nature, génération future, pays du tiers-monde – qui ne… s’exprime pas ou à qui on ne donne pas la parole. La naissance d’une opinion publique et de médias de masse offre la possibilité de la propagande et de la manipulation. Peut-être parce qu’ils se sentent responsables de ces évolutions, des protestants interviennent tout au long de l’histoire contre cette raison se retournant dialectiquement en nouvelle religiosité : Barth ou Bonhoeffer contre le totalitarisme, Jacques Ellul contre la technique et la propagande, Thoreau, Emerson ou Lynn White contre l’instrumentalisation de la nature…

Toujours recommencer

La relativisation, la désacralisation peut aussi s’appliquer aux réalités modernes, enfantes de la Réforme : quand l’État, la démocratie, la révolution ou au contraire le « réalisme » (que Jacques Ellul nommait « faitichisme ») deviennent de nouvelles religions ou de nouveau Dieu. Alors, le fait de relire les Évangiles nous invite à semer des herbes folles qui se mêlent au bon grain et à l’ivraie. Comme Jésus à toujours bousculer les ordres établis pour faire place, hier aux noirs, aux femmes, aux ouvriers, aujourd’hui il nous pousse à faire de la place aux minorités sexuelles, religieuses, aux êtres vivants non-humains (animaux, plantes). Se souvenir de l’articulation particulière entre local et national du système presbytéro-synodal invite à ne pas tout attendre de l’État, à donner de l’importance au local, à savoir accepter les désaccords sans faire un drame des dissidences : « le bon bois s’éclate bien » ont l’habitude de dire les amishs…

Démocratie d’interpellation, herbe folle en floraison

À la fin du XIXe siècle naissent au même moment aux États-Unis le « social gospel » (équivalent du christianisme social européen) et le mouvement syndicaliste International Workers of the World (IWW, ou wobbies). Les uns lisent les autres, se rencontrent, débattent. En 1926, des églises populaires de Chicago demandent à un syndicaliste woobies, Saul Alinsky, d’appliquer ses méthodes d’action directe pour améliorer la vie dans les quartiers, la « communauté ». Est né le «community organizing» – traduit en français par «démocratie d’interpellation» ou « d’initiative citoyenne ». Aujourd’hui, des États-Unis au Royaume-Uni – avec Uk Citizen créé par un Quaker – les institutions religieuses sont engagées dans l’action citoyenne. C’est cette méthode que développe depuis un an la Mission populaire à Gennevilliers (92) avec la création d’une nouvelle Fraternité. Le protestantisme, semper reformanda de la démocratie !

Protestants 2017 PFP

Presse régionale protestante

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