Les pratiques spirituelles « laïques », notamment la méditation de pleine conscience, ont actuellement le vent en poupe car elles peuvent contribuer au mieux-être. A contrario, la foi en Dieu, celui de la Bible ou du Coran, est souvent suspectée d’engendrer culpabilité et névroses voire de conduire au fanatisme. Qu’en est-il ?

« On peut devenir croyant parce qu’on est névrosé, mais être agnostique ou athée n’est pas la garantie que l’on est en bonne santé psychique », affirme d’emblée le pasteur Stéphane Kakouridis qui, dans le cadre de son ministère à la Communauté Saint-Nicolas à Strasbourg, accompagne de nombreuses personnes en quête spirituelle ou/et en souffrance.

Raymond Heintz, psychiatre à Haguenau, abonde dans ce sens. Il précise néanmoins que « la foi entretient un dialogue incessant avec la psyché et est de ce fait indissociable de ce qui fait le tissu intime de chacun ; elle peut donc à l’occasion entretenir un sentiment exacerbé de culpabilité ou renforcer une structure névrotique de la personnalité ». Si, selon lui, « la croyance n’expose pas au risque de névrose », les deux « sont parfois comme cul et chemise », autrement dit s’alimentent l’une l’autre.

Fantasme de toute-puissance et besoin de consolation

Pour le pasteur Kakouridis, la théologie chrétienne occidentale a mis l’accent, depuis Saint-Anselme (XIe siècle), sur une « vision juridique de Dieu et de la foi ». Même si les choses sont en train d’évoluer, il estime que cela n’est pas sans conséquences, aujourd’hui encore, sur la perception que beaucoup de personnes ont de Dieu, des autres et d’elles-mêmes. Il constate en effet que la croyance en un « Dieu flic, instance surplombante qui épie et surveille, envoie le malheur et punit » est encore très répandue. Celle-ci peut alors être « récupérée par une quête de performance ou par un fantasme de toute-puissance : ce que je ne vais pas supporter chez moi, je vais encore moins le supporter chez autrui ». Cela peut avoir pour conséquence de « se poser en sauveur voire en gourou des autres ».

En réaction au relativisme ambiant et à ce qu’il décrit comme « l’angoisse que peuvent susciter la modernité et sa complexité », certains, dit Raymond Heintz, trouvent dans des formes de foi qu’il qualifie d’« utilitaires », de quoi être « rassurés, tranquillisés ». La conformité à des rites, à des dogmes, à des textes considérés comme sacrés, est alors privilégiée. Au détriment d’une « foi ouverte au questionnement, libératrice d’un carcan imaginaire de culpabilité ». Dans des cas extrêmes, cela peut expliquer l’attrait pour les discours absolutistes et clivants (qui opposent le bien et le mal, « la » vérité et les référentiels communément admis, les élus et les réprouvés…) : « ça peut être séduisant pour qui cherche des recettes toutes faites autant qu’un sens à son existence », affirme encore le psychiatre.

Vers une foi saine ?

Autant le pasteur Kakouridis trouve « important de sortir des maladies de la foi », autant la pratique du psychiatre Raymond Heintz conduit ce dernier à être plus circonspect. Le premier croit en la possibilité d’évoluer vers une foi adulte, notamment grâce à la dimension thérapeutique de la prière et à la fréquentation de la Bible (à condition qu’elle ne soit pas lue dans le but de renforcer une idéologie) ; le second explique : « quand une personne s’est engagée dans un processus de croyances qui vient apporter, sinon une colonne vertébrale, du moins une carapace à son existence tout entière, c’est extrêmement difficile, voire dangereux pour son équilibre psychique, de tenter de l’en déloger. Si on y arrivait, cela voudrait dire, pour la personne concernée, que c’est un gouffre, un vertige existentiel qui s’ouvre sous ses pieds… ». Tous deux pensent cependant qu’il est possible de vivre une foi mature. Synonyme de « processus de croyance toujours en chemin », elle se caractérise par l’ouverture à autrui, l’interaction avec le monde et la capacité à assumer ses fragilités humaines.