L’épidémie sanitaire qui s’éternise affecte incontestablement la santé psychologique des Français, au point que cet aspect pourrait bien constituer une réelle « troisième vague ». La dépression n’est pas la seule manifestation d’un mal de vivre au cœur d’une crise qui dure, l’agressivité est de plus en plus palpable.

Là, c’est une caissière de supermarché qui se fait insulter par un client, ici, un livreur à qui on parle mal, là encore, un postier menacé de manière à peine voilée. Ceux qui exercent des métiers en contact avec le public en témoignent : les Français sont de plus en plus irritables, voire carrément agressifs.

Les professionnels du soin, de l’accompagnement ou du social ont également noté une flambée des réactions épidermiques des usagers et patients : les personnes qu’ils reçoivent manifestent des comportements de plus en plus inattendus, fortement agacés, avec un potentiel d’escalade, voire de passage à l’acte, très rapide. Des situations jusqu’à présent parfaitement maîtrisées dérapent vite, à tel point que certains ne reconnaissent plus les personnes qu’ils accueillaient parfois depuis longtemps. Comme s’ils révélaient une autre personnalité, ce qui est tout à fait déstabilisant.

Que dire de ces lieux où l’on peut se défouler, et souvent de manière anonyme, les réseaux sociaux ? Ces nouvelles agoras servent depuis des mois de déversoir : les instincts les plus bas s’y révèlent, les sentiments les plus vils s’y déchainent. Pire, tout devient sujet à interprétation. Telle personne propose un chaton à l’adoption ? Elle reçoit en retour une pluie d’injures sur son irresponsabilité, les trafics d’animaux, le mal-être animal… Telle autre prend position sur le féminisme ? Il s’ensuit une bordée de commentaires misogynes, rabaissants, et autres sarcasmes – quand ce ne sont pas des menaces, parfois envoyées directement par message privé.

« On ne peut plus rien dire » est un leitmotiv qui revient souvent. C’est surtout qu’on n’est plus à l’abri d’un dérapage consécutif à un propos, y compris banal. La ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, annonce sa positivité au Covid ? Dans les heures qui suivent ce sont plusieurs milliers de commentaires qui affluent. Certains la tutoient, d’autres se moquent de son physique, de son âge, de ses décisions, du gouvernement, et d’autres encore lui souhaitent le pire – compte tenu de sa prétendue inefficacité à sauver la culture… Effarant.

Mais pourquoi tant de haine ? Une majorité de Français est-elle constituée de sociopathes qui s’ignoraient ? Les raisons sont évidemment à chercher du côté d’une situation qui s’éternise, sans perspectives claires d’évolution : sentiment de frustration de ne plus pouvoir accéder à la vie qui était la sienne, contraintes vues comme des obstacles, impuissance à faire évoluer les choses, absence d’alternatives et de dérivatifs, fatigue physique et épuisement psychique, méfiance généralisée… Ceci, bien évidemment, n’excuse rien.

L’agressivité est l’expression ultime de la colère, une émotion de défense, qui se déclenche toutes les fois où nous nous sentons attaqués. Le problème est que la plus petite broutille est désormais considérée comme une attaque – pire, une attaque personnelle, et que la défense en retour est manifestement disproportionnée à l’événement. Beaucoup de personnes donnent la sensation d’avoir fait sauter tous les verrous, ceux de l’éducation, de la raison, du bon sens et même de l’humanité. Ils sont sans filtre.

Alors, phénomène réactionnel ou tendance lourde ? L’avenir nous le dira. Et il est fortement souhaitable que l’on revienne à des relations plus apaisées, quels que soient le contexte et les contraintes qui nous sont imposés. Si vous vous sentez dépassé par les sentiments ambivalents qui vous animent, ou si vous-même vous ne reconnaissez plus vos réactions, faites-vous aider. Il est grand temps de prendre soin de vous.

La colère est souvent légitime, l’agressivité ne se justifie pas. Mais, à l’inverse, si votre métier vous conduit à soutenir ou écouter les autres – ou même simplement à les accueillir – pensez aussi à vous. N’acceptez pas le manque de respect comme un travers inévitable en ce moment, ne prenez pas trop sur vous, et donnez-vous le temps de débriefer avec des collègues, ou des professionnels. Un conflit dont on parle commence déjà à s’évacuer. N’ayez pas honte d’en parler : votre professionnalisme ne vous protège pas de vos émotions, et n’ajoutez pas à la difficulté du moment des fragilités injustifiées. Tout n’est pas acceptable. Chacun a droit au respect et à la paix intérieure retrouvés.

Il existe aussi des services d’accueil, d’écoute et d’information en cas de détresse psychologique, que l’on peut contacter à distance, de manière anonyme et gratuite :

  • Croix-Rouge Ecoute : 0800 858 858, du lundi au samedi de 9h à 19h et le dimanche de 12h à 18h, ou 09 70 28 30 00
  • SOS Amitié : 09 72 39 40 50, tous les jours, 24h/24
  • SOS Crise : 0800 19 00 00, tous les jours, de 9h à 18h.
  • Ecoute santé : 0800 156 156, tous les jours, de 8h à 23h

Pour les professionnels de santé :

  • Entraide ordinale : 0800 288 038, tous les jours, 24h/24
    Ecoute et assistance des médecins libéraux, salariés et hospitaliers, sages-femmes, chirurgiens-dentistes, infirmiers, masseurs kinésithérapeutes et pédicures podologues.
  • Plateforme téléphonique SPS : 0805 23 23 36, tous les jours, 24h/24
    Ecoute, soutien, accompagnement et orientation des professionnels de la santé, soignants libéraux et salariés, personnels des structures de santé, étudiants en santé et personnels des institutions et services médico-sociaux.

La prise de conscience et la distanciation amènent à un apaisement, malgré les contraintes. C’est sans doute le meilleur rempart contre l’agressivité.