Une chaise vide trône dans le couloir menant aux Soins intensifs d’un grand hôpital parisien. Pourtant ils sont deux, accroupis le long du mur. La fille de l’un a subi une greffe qui vient d’être rejetée. Le fils de l’autre est opéré pour la cinquième fois d’une maladie du crâne qui lui déforme la face. Les pères font une pause dans le temps de présence à leur enfant et se sourient. Aucun n’a souhaité prendre la chaise ou l’offrir à l’autre. Ils savent.

Coupés du monde et pourtant reliés

L’un comme l’autre, ces deux parents ont pleuré la nuit dernière sur la vie de leur enfant et leur propre épuisement. Bientôt ils retourneront dans les chambres. Maintenant ils partagent de menus détails de leur visite, comme autant de signes que l’on peut espérer. Dans un monde hospitalier qui coupe la personne des amis et des proches et ne laisse qu’un lien téléphonique ténu vers le monde extérieur, les relations se tissent sans fard et vont souvent droit à l’essentiel. Ces deux pères savent la souffrance de l’autre et s’entraident dans l’urgence. Sans même se connaître, ils se reconnaissent pourtant à travers leurs liens aux enfants. Au bénévole qui arrive, les deux diront d’ailleurs séparément la même chose : « C’est mon enfant qui me donne la force de sourire. Et puis vous savez, l’autre père, lui, il est dans une situation terrible, je ne pourrais jamais supporter ce qu’il vit ».

Une écoute alternative

Lorsque les rêves se brisent sur la réalité et que l’être humain est amené aux limites du possible, un monde différent se crée, sans doute encore partiel mais en devenir. Ces parents se sont chacun adaptés comme ils ont pu à la situation de leur enfant, se forgeant un univers qui permette d’assumer la situation et de continuer à y discerner un horizon. Mais aucun d’eux ne s’était préparé à la réalité de la chambre d’à côté, qui leur paraît insurmontable. Chacun parle et écoute en alternance se découvrant une bienveillance envers l’autre. Peut-être est-ce le signe avant-coureur d’une bienveillance envers soi-même et cette culpabilité parfois ressentie d’être en bonne santé. Car comment être père quand son enfant souffre et qu’on ne peut pas lui donner ce que l’on a soi-même reçu ? Comment vivre quand on risque de survivre à son enfant ? La bienveillance envers soi-même est un des grands enjeux de ces personnes rendues accompagnantes malgré elles par le hasard de la vie. Dans le feu de l’urgence, le bénévole sera aujourd’hui le seul à recevoir ces questions. Durant quelques instants il aura peut-être été la soupape, le punching-ball ou le mouchoir qui permet au parent de vivre un autre rôle.

Changement de perspective

C’est une idée bien connue et partagée : dans l’adversité les gens se soudent. Plus surprenantes parfois sont les réactions devant la souffrance et l’impuissance vécues à l’hôpital. Car dans ce lieu on ne maîtrise rien et certains témoignent d’une difficulté réelle à laisser la vie de leur proche ou la leur entre les mains d’une personne qu’on ne connaît pas ou peu. Or ici, la souffrance peut aussi faire renaître l’humanité et parfois une dimension spirituelle oubliée ou niée, au point que partager des histoires universelles comme Job, Caïn et Abel ou le message contenu dans certains psaumes ne paraît pas étrange. La pertinence d’un accompagnant ou d’un bénévole tient dans cette présence qui propose en elle-même un décalage, un ailleurs, un autrement. Sa prière intérieure en même temps que son écoute peut créer un changement de perspective, l’espace infime dans lequel une vie différente peut germer.