L’abstention spectaculaire
Le premier point soulevé par François Ernenwein, ancien rédacteur en chef de la Croix est l’abstention spectaculaire. Avec 52,5 % des électeurs qui ne sont pas allés voter, l’abstention atteint une majorité absolue, ce qui est préoccupant pour la démocratie française. Cette tendance, commencée il y a trente ans, s’est accentuée avec l’instauration du quinquennat en 2000, où les élections législatives suivent immédiatement la présidentielle. Cette démobilisation électorale est due à une distorsion entre les attentes des Français et l’offre politique. Les campagnes présidentielle et législative récentes ont été marquées par un écart entre les préoccupations des citoyens, telles que l’inflation et le pouvoir d’achat, et les thèmes débattus par les partis politiques.
Cette déconnexion est particulièrement visible dans la campagne législative, où la majorité présidentielle a évité un débat véritable, et les ministres sont restés discrets. Cette absence de mobilisation a conduit à une faible participation électorale, similaire aux niveaux de 2002, marquant une crise de la vitalité démocratique en France. Comparée à d’autres démocraties comme les États-Unis, où la participation est également faible.
Une offre politique inadéquate
François Ernenwein, qualifie l’offre politique actuelle, d’inadéquate pour répondre aux préoccupations des Français. Les partis politiques, selon lui, ne parviennent pas à interpeller les électeurs sur des propositions centrées sur les besoins réels des populations. Malgré une offre diversifiée avec de nombreux candidats, les discours manquent de pertinence et de connexion avec les attentes des citoyens. Le paysage politique est divisé principalement en trois blocs : la majorité présidentielle, la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale (NUPES) dirigée par Jean-Luc Mélenchon, et le Rassemblement National de Marine Le Pen. Chacun de ces blocs capte une part significative de l’électorat, mais peine à mobiliser au-delà de leurs bases respectives.
La NUPES a réussi à créer une dynamique en unifiant la gauche, ce qui a permis de faire jeu égal avec la majorité présidentielle en termes de pourcentage de voix. Cependant, cette unité reste fragile en raison des divergences idéologiques entre les différentes composantes de la coalition. Jean Luc Mélenchon, bien que central dans cette dynamique, est contesté au sein de son propre camp, et sa capacité à maintenir cette unité est incertaine. En parallèle, le Rassemblement National, bien qu’ayant augmenté ses voix, a été défait à la présidentielle, ce qui pourrait avoir un effet démobilisateur sur ses électeurs.
Vers une nouvelle configuration politique
Selon François Ernenwein, la majorité présidentielle pourrait obtenir une majorité relative plutôt qu’absolue, ce qui changerait radicalement la dynamique parlementaire. Une majorité relative forcerait Emmanuel Macron à dialoguer davantage avec les autres blocs, notamment la NUPES, pour faire passer ses réformes. Les débats parlementaires plus actifs et la nécessité de compromis, pourrait revitaliser le débat politique en France.
Il met également en garde contre les tensions sociales potentielles si la majorité présidentielle pousse ses réformes sans consensus. La réforme des retraites, en particulier, pourrait cristalliser les oppositions et provoquer des conflits. Cependant, l’ancien rédacteur en chef reste optimiste quant à la capacité de la démocratie française à s’adapter et à répondre aux défis. Malgré l’abstention élevée, il existe toujours un désir de politique et un sens de l’intérêt général parmi les Français. La clé réside dans la capacité des formations politiques à aligner leur offre avec ce désir, mobilisant ainsi les citoyens pour un engagement plus actif.
Entretien avec François Ernenwein, ancien rédacteur en chef de La Croix et éditorialiste à Réforme.
Coproduction : Fondation Bersier – Regards protestants / Réforme – reforme.net
Intervenants : Jean-Luc Mouton, François Ernenwein