L’Ukraine vit une étrange dualité. D’un côté, la guerre est partout : postes de contrôle, mitrailleuses camouflées, infrastructures détruites. De l’autre, la vie continue avec une force et une énergie surprenantes. C’est ce contraste qui frappe d’abord les voyageurs et documentaristes français Alban Robert et David Métreau, tous deux récemment revenus d’Ukraine.

Arriver sur place est déjà une épreuve : plus aucun vol commercial ne dessert Kiev. Le passage se fait par la Pologne, la Moldavie ou la Roumanie, après des dizaines d’heures de route dans des bus bondés de réfugiés. À la frontière, l’armée est omniprésente. Les routes portent encore les cicatrices de l’invasion de 2022 : ponts dynamités, stations-service brûlées, infrastructures stratégiques détruites. Pourtant, le pays se reconstruit au fur et à mesure, sans attendre la fin des combats.

À Kiev comme à Odessa, le quotidien oscille entre insouciance et vigilance permanente. On croise des familles en promenade, des enfants dans les parcs, des files élégantes devant l’opéra. Mais à quelques mètres, des soldats reprennent la route du front, et les sirènes anti-aériennes rappellent la fragilité de cette normalité. Sur les plages d’Odessa, l’été 2023 a vu des milliers d’Ukrainiens venus se reposer malgré le danger : concerts improvisés, bières au soleil, fête foraine au crépuscule. Au-dessus, un pont sous surveillance militaire rappelle que la menace est constante.

La culture joue un rôle central dans cette résistance. Les artistes ukrainiens affirment leur identité par la langue, la musique, les expositions. Des associations comme Repair Together mêlent reconstruction et fête : jeunes volontaires sans expérience, souvent artistes, rebâtissent des maisons détruites tout en organisant des concerts et des soirées. Certaines boîtes de nuit, comme la célèbre K41 de Kiev, reversent l’intégralité de leurs bénéfices à l’armée.

Cette vitalité est une manière de défier la guerre : continuer à danser, créer et chanter, tout en soignant les blessures du pays. Pour les documentaristes, c’est une leçon de courage collectif : les Ukrainiens refusent de se laisser réduire à un peuple en guerre, et inventent chaque jour une vie possible entre menace et espérance.

Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Remerciements : David Métreau, Alban Robert
Entretien mené par : David Gonzalez
Technique : Horizontal Pictures, Alban Robert