De retour de Belgrade, le journaliste François Ernenwein décrit une contestation grandissante et pacifique contre le président Aleksandar Vučić. À l’image des mouvements qui ont précédé la chute du Mur, une bascule semble en marche.
L’effondrement d’une gare à Novi Sad en novembre 2024, qui a fait 16 morts et révélé, aux yeux de nombreux Serbes, les ravages de la corruption et du clientélisme qui gangrènent l’État.
Au hasard de ses déambulations dans la capitale serbe, François Ernenwein a croisé « la face visible de la colère ». Une colère née d’un drame : l’effondrement d’une gare à Novi Sad en novembre 2024, qui a fait 16 morts et révélé, aux yeux de nombreux Serbes, les ravages de la corruption et du clientélisme qui gangrènent l’État.
« C’est un mouvement joyeux, pacifique, résolu »
Élu sur une ligne nationaliste, Vučić est aujourd’hui accusé d’avoir verrouillé les institutions. En réponse, un mouvement étudiant, sans violence, rassemble chaque semaine des milliers de personnes dans tout le pays. Les revendications se sont élargies : d’une demande de transparence, elles ont évolué vers une exigence claire d’élections anticipées. « C’est un mouvement joyeux, pacifique, résolu », explique François Ernenwein.
Les jeunes, premières cibles de ce système fermé où « il faut être pistonné pour travailler », ont entraîné dans leur sillage une large part de la société. Le journaliste compare l’atmosphère actuelle à celle qu’il a vécue en URSS à la fin des années 80 : un « fruit mûr », prêt à tomber.
S’il reste prudent, il perçoit dans les rassemblements observés à Belgrade une dynamique irréversible : « La force de vie est du côté des manifestants, le pouvoir paraît sclérosé. » Face à une contestation aussi déterminée que non violente, « il sera difficile pour Vučić de résister durablement ».
- Qui est Aleksandar Vučić ?
Ancien ministre de l’Information sous le régime autoritaire de Slobodan Milošević dans les années 1990, Aleksandar Vučić a su se réinventer politiquement. Il fonde en 2008 le Parti progressiste serbe (SNS), à l’orientation conservatrice et nationaliste, et en devient la figure dominante. D’abord Premier ministre en 2014, il est élu président en 2017, puis réélu en 2022.
S’il a été salué à ses débuts pour sa volonté affichée de rapprochement avec l’Union européenne, son régime a progressivement dérivé vers l’autoritarisme. Accusé de contrôler les médias, de verrouiller les institutions et de tolérer une corruption endémique, Vučić est aujourd’hui critiqué pour avoir érigé un système clientéliste, où l’accès à l’emploi ou aux marchés publics passe par l’allégeance politique.
Malgré des élections régulièrement tenues, plusieurs ONG internationales dénoncent un affaiblissement de l’État de droit et un recul démocratique marqué. Face à une contestation pacifique mais persistante, Vučić tente désormais de préserver son pouvoir en évitant tout débordement qui pourrait entacher son image à l’international.
Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Remerciements : François Ernenwein
Entretien mené par : David Gonzalez
Technique : Horizontal Pictures