Regards protestants : Pourquoi avoir remis un plaidoyer des cultes à Emmanuel Macron pour la COP 28 ?
Christian Krieger : La conférence des responsables de culte en France a remis un plaidoyer commun signé par l’ensemble des responsables religieux au président de la République française au moment de l’ouverture de la COP 28. Pour nous, c’était très important de faire une démarche commune parce que l’enjeu de l’urgence climatique est un enjeu collectif et commun et qu’il était important que les cultes mènent une action commune, qu’ils ne jouent pas un plaidoyer l’un contre l’autre. Chaque fois que l’action commune est possible, il nous faut emprunter ces voix. Nous vivons dans une époque où en Europe et en France, des voix s’élèvent pour questionner les efforts qui sont faits en Europe et en France, en identifiant aussi un risque d’être pénalisé sur plan économique parce que d’autres États ou d’autres pays sont moins ambitieux ou produisent moins d’efforts. Et pour nous, c’était important de soutenir la volonté de la France et la volonté européenne d’être exemplaire et d’aller de l’avant, quitte à trouver des mécanismes pour ne pas être pénalisé économiquement.
Les traditions religieuses et les traditions spirituelles sont marquées par une réflexion sur l’homme, l’humain, sa place et peut-être sa juste place vis-à-vis d’une transcendance, ce qui leur permet de réfléchir à ce qui constitue l’essentiel de l’existence et d’une vie. Et à ce titre là, elles peuvent porter un message pour, j’allais dire, convertir nos existences à une façon de vivre plus respectueuse d’un environnement, d’un cadre de vie, afin de pouvoir le transmettre aux générations futures.
R.P. : Peut-on concilier croissance et protection de la création ?
Christian Krieger : Alors il y a de grands débats théologiques sur l’interprétation de cette responsabilité humaine au cœur de la création. La croissance est en fait quelque chose qui n’est pas juste une vocation exprimée dans le récit de la création, elle est aussi au cœur de la pensée économique. Et on a d’énormes débats pour savoir si finalement une croissance est possible, quand bien même cette croissance serait beaucoup plus respectueuse et beaucoup plus durable. Je crois que ces textes de la création nous disent un double message. Premièrement les récits de la Genèse nous écrivent le récit d’une communauté de destin où tout le vivant est lié. C’est un peu ce qui est au cœur de Laudato si’, cette lettre du pape François, où il disait que tout était lié et que personne ne sera sauvé si toute l’espèce humaine ou tout le créé n’est pas sauvé. De plus ces textes sont aussi des textes qui nous disent la liberté de l’homme et sa responsabilité. Et c’est peut-être pour moi les accents principaux de ces textes qu’il vaut la peine de méditer et de faire sien.
R.P. : Le protestantisme porte-t-il la responsabilité de la situation actuelle ?
Christian Krieger : Quel est le lien entre le protestantisme et le capitalisme ? La thèse de Max Weber dit qu’il y a une éthique protestante qui a favorisé des mécanismes qui sont de type capitalistique. Donc, je dirais pas que le capitalisme est protestant, pour reprendre votre expression. Je rencontre beaucoup de responsables économiques, de responsables d’entreprises et des dirigeants qui sont très conscients de l’enjeu écologique et qui sont exemplaires dans leur action. Je crois pas que capitalisme et écologie soient antinomiques. Il y a des types de militances, des militances de terrain et il y a des différences convictionnelles. On voit qu’il y a des gens qui croient encore dans une technologie qui pourrait nous sauver, je dirais, de l’évolution qui est en cours. C’est très compliqué de juger les uns et les autres. Je crois que nous devons peut-être renouer et continuer à cultiver les espaces de débat afin d’avancer ensemble dans le défi qui est le nôtre.
Ce qui est vrai et ce qui s’impose à nous depuis maintenant deux années, c’est que nous ne cessons de battre des records de température et de catastrophes naturelles les unes après les autres. Et que cette urgence climatique s’impose aujourd’hui dans tous les agendas et qu’il s’agit de la prendre au sérieux.
Au cœur de la question écologique, il y a aussi la question de la justice. La justice, puisque les populations les plus exposées au changement climatique sont les populations souvent les plus vulnérables et qui ont le moins contribué à l’évolution des températures. Et donc, au cœur de la question écologique, il y a cette question de justice. C’est pour ça que notre commission, au niveau de la fédération qui travaille sur ce sujet, s’appelle « écologie et justice climatique ». Et c’est à ce titre, une des raisons pour lesquelles nous avons choisi ce verset. Mais ce verset, quand il parle de droit et de justice, est plus large encore. Nous vivons un contexte de guerre qui semble se normaliser. On en a quand même plusieurs fronts de guerre actuellement sur la planète. Et au moment où les armes sévissent, il est important de rappeler le droit et la justice comme condition première pour une paix possible.
R.P. : La Fédération a choisi un verset qui allait dans ce sens pour l’année 2023. De quel verset s’agit-t-il ?
Christian Kireger : Alors pour 2023, la Fédération protestante de France a choisi un verset du prophète Amos, un verset d’un dans un texte qui est en fait une critique prophétique contre une religion ou une spiritualité désincarnée. « Faites jaillir le droit comme une source et laisser couler la justice comme un torrent intarissable. » (Amos 5.24) Derrière cette question de droit et de justice, il n’y a pas simplement la question de la justice climatique, il y avait aussi le contexte de guerre en Ukraine où droit et justice sont pour nous des critères essentiels pour travailler à une perspective d’une possible paix.
R.P. : Comment les chrétiens peuvent-ils agir ?
Christian Krieger : Comment les chrétiens peuvent-ils agir pour soutenir la justice climatique ? Un des premiers mécanismes d’action c’est de porter ce sujet dans la prière. Un deuxième mécanisme d’action c’est, soi-même, de chercher à mener une vie la plus juste possible au regard des enjeux qui sont les nôtres collectivement. Troisièmement, c’est d’être responsable et acteur de cette conscience en en parlant autour de soi parce que c’est finalement une conscience collective qui se construit à partir de la base qui donnera des orientations politiques. Le sujet écologique est un des enjeux des élections depuis 2017-2018. Pour les élections européennes c’était un sujet majeur. Je présume que pour les élections à venir, au mois de juin 2024, ce sera encore une fois un sujet important. En parler c’est très très important pour construire une conscience collective et que cette conscience se traduise aussi dans les urnes.
R.P. : Comment l’Eglise peut-elle agir ?
Christian Krieger : Souvent on s’interroge sur le poids des religions quand elles portent un plaidoyer, quand elles font une déclaration. Pour répondre à cela j’utilise une expérience très très concrète. En 2018 j’ai remis à la vice-présidente de la Commission européenne un plaidoyer sur la migration et elle me répondait que c’était un embarras politique pour elle le texte que je remettais et elle me disait en même temps que j’étais dans mon rôle. Finalement j’ai compris que de toute façon toutes les pressions s’exercent sur les politiques y compris la pression populaire et que l’Eglise était dans son rôle. Et qu’il se joue une forme d’équilibre des pressions. Si nous rations l’occasion de parler il manquerait une voix dans dans le concert dans lequel il faut discerner finalement la juste.
R.P. : Quelles sont les limites des COP ?
Christian Krieger : On voit bien que cette COP 28 actuellement bute sur la mention de la sortie des énergies fossiles or c’est précisément ce point-là que nous avions mis en exergue dans dans notre plaidoyer cette année en encourageant le président à porter cela. Donc les points qu’on mentionne sont des points je crois importants. Les religions doivent prendre leur place au cœur des débats de société.
R.P. : Quelles sont les positions de la FPF sur la loi immigration ?
Christian Krieger : La FPF s’est régulièrement exprimée sur les questions de migration. C’est un plaidoyer qui est mené de longue date, à la fois notre commission « éthique et société » a produit un texte sur le rapport aux réfugiés et aux migrants. Nous sommes engagés avec la Fédération de l’entraide protestante dans les couloirs humanitaires pour poser des signes très importants d’accueil et notre vision des migrations. Il était important puisque nous assistons à une Xè loi sur l’immigration que nous rappelions ces positions et que nous les rendions publiques. Alors je suis ce matin très inquiet de ce qui s’est passé ce matin à l’Assemblée nationale par ce refus de travailler sur le texte parce que le travail va repartir sur un texte beaucoup plus compliqué. La version du Sénat va probablement être retenue et du coup nous allons nous situer dans une perspective moins favorable. Les protestants se souviennent qu’ils ont eux-mêmes été poussés à l’exil, qu’ils sont eux-mêmes enfants d’immigrés. Nous nous souvenons que ce protestantisme français aujourd’hui est pluriel et est aussi le fruit de migration. D’ailleurs, nous parlons de migration mais il faudrait plutôt parler de mobilité. Nous avons conscience que le réchauffement climatique va pratiquement amener un millard de personnes, d’ici l’horizon 2050, à être mobiles sur la planète. Les lois telles que nous les envisageons en Europe et en France ne sont pas à la hauteur des mobilités qui viennent. Et c’était le sens de notre texte de rappeler nos positions habituelles et nos communiqués classiques.
R.P. : Existe-t-il des relais de ce message à l’étranger ?
J’ai notamment pris une initiative pour que, en 2024, le protestantisme allemand et français est un plaidoyer commun pour les élections européennes, puisqu’il y a un axe franco-allemand politique qui a souvent été moteur en Europe, j’aimerais avoir un axe franco-allemand protestant pour soutenir les élections européennes et appeler finalement à faire un vote européen et pas à régler des questions national dans un vote qui n’a rien à voir avec notre propre pays.
R.P. : Avez-vous un message pour notre société ?
Christian Krieger : Compte tenu des tensions que vit notre pays au sein de la société, des fractures entre certaines communautés religieuses, cette invitation à prendre soin les uns des autres est un verset presque en phase avec les modèles universalistes évoqués par le président de la République.
R.P. : Quelles sont les positions de la FPF sur le conflit israélo-palestinien ?
Christian Krieger : Au moment des actes barbares du Hamas où cette organisation s’est révélée être une organisation terroriste, la Fédération protestante de France a très vite par une déclaration qualifié de terroristes ces actes et appelé à la libération des otages. Nous avons immédiatement et dans le même mouvement été à l’initiative d’une déclaration de l’ensemble des cultes pour affirmer que nous sommes capable de fraternité en France, quand bien même nos sympathies seraient plutôt propalestiniennes ou favorables à la légitimité de l’État d’Israël.
En disant que notre rôle c’était de montrer plutôt en Palestine et en Israël que nous sommes capables de fraternité que d’importer des tensions chez nous. Et ces tensions qu’on pouvait craindre se sont installées en France, c’est-à-dire un conflit territorial et politique extérieur se cristallise en France sur une ligne de fracture entre des cultes, entre le judaïsme et l’islam. Chacun revendiquant aujourd’hui des sympathies vers les partisans de ce conflit extérieur mais en même temps revendiquant aussi d’être victime des tensions qui sont consécutives à ce conflit extérieur. On a en France un nombre inimaginable d’actes antisémites, plus de 2000 après 2 mois. Ce chiffre est un incroyablement élevé. Je ne trouve pas les mots. C’est même odieux. Que des citoyens français qui vivent là depuis des générations, à l’aube de leur vie, disent à leurs petites filles qu’il ne vaudrait mieux pas porter un bijou avec une écriture juive est impensable. L’antisémitisme est indigne de la République. Donc sur ce plan nous avons un discours très très clair mais en même temps on voit qu’on assiste à une forme de compétition victimaire où chacun cherche à avoir l’attention. Les musulmans se sentent peu reconnus actuellement dans la République, parce qu’il y a beaucoup d’attention, le président l’a peut-être encore marqué l’autre jour avec Hanoucca, à la situation des juifs et à l’antisémitisme. Les musulmans se sentent pointés du doigt comme étant les possibles auteurs d’une partie importante de ces actes antisémites. En même temps un discours antimusulman est en train de s’installer dans notre pays donc on assiste à une forme de crise de l’empathie. Une attention marquée à quelqu’un est perçue comme une trahison par l’autre et c’est absolument insupportable et c’est à ce titre là que j’ai estimé qu’il était important d’aller à la rencontre du Grand Rabin, de l’écouter, d’écouter la situation des juifs en France, d’affirmer notre condamnation de l’antisémitisme d’affirmer notre appel à la libération des otages. Il était également important pour nous d’aller à la rencontre du recteur de la Grande Mosquée de Paris pour écouter comment les musulmans vivent la situation présente, d’affirmer notre soutien, d’affirmer que nous n’essentialisons pas l’islam ou les musulmans, que nous leur reconnaissons une place au sein de la République. Et que nous souhaitions ensemble, avec les juifs et les musulmans, être porteurs d’un message de fraternité.
R.P. : Quel rôle le protestantisme peut-il prendre dans ce conflit ?
Christian Krieger : Pour ma part, je suis intimement convaincu que le protestantisme, qui a une réelle culture du débat, une culture pour assumer nos différents, nos différences, notre dissensus, à un rôle important dans le dialogue des cultes ou dans le dialogue interreligieux, dans la rencontre entre les autorités cultuelles. Nous sommes souvent dans la position de celui qui cherche à faciliter la collaboration, à porter un message commun souvent à l’initiative. Moi j’agis en tout cas dans le sens de de me mettre au service d’un message commun des cultes afin d’apaiser autant que possible, par des gestes symboliques, les relations entre les cultes sur l’ensemble du territoire.
R.P. : Comment incarner ce message commun ?
Christian Krieger : Actuellement nous cherchons à réfléchir à partir, en tant que responsable religieux tous musulmans juifs, à la rencontre d’un lycée pour montrer à quel point nous savons nous tenir ensemble. Il y a une réelle attention médiatique, c’est d’ailleurs insoupçonné comment les médias sont attentifs à cette situation parce qu’on sent que la fraternité est en danger. On sent que certaines actions interreligieuses ont été suspendues, certains acteurs ont abandonné l’action interreligieuse. Le président Macron nous a dit lui-même qu’on assistait à une ethnisisation religieuse des sociétés, c’est-à-dire que le modèle français universel qui veut reconnaître à tout citoyen une même promesse et une même place au cœur de la République était lentement, progressivement, fragilisé par des tensions qui viennent vers nous de l’extérieur.
R.P. : De quelle manière la FPF exprime-t-elle son soutien au judaïsme ?
Christian Krieger : En 2017 j’ai eu l’occasion d’écrire une déclaration fraternelle au judaïsme, à l’occasion des 500 ans de la réforme. Il s’agissait alors de se souvenir qu’en célébrant les 500 ans du protestantisme nous avions aussi des propos de Luther qui étaient peu recommandables et qu’il s’agissait en fait de réprouver avec la plus grande fermeté possible. Cette déclaration rappelle que finalement la légitimité à la fois de l’État d’Israël et que la légitimité d’un État palestinien était tout aussi forte que celle d’un État d’Israël et donc moi je suis heureux que cette solution de deux états réémerge dans le discours politique et trouve des soutiens forts. On sortira peut-être de cette crise avec une perspective plus viable quand bien même pour l’instant cet Etat palestinien est morcelé et n’a pas de continuité territoriale. Que cette solution soit de nouveau d’actualité me réjouit profondément.
Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Entretien mené par : Claire Duizabo
Réalisation : Quentin Sondag