Café politique : Nicolas Rousselier face à l’impasse parlementaire — comprendre la crise pour mieux réparer

Invité du Café politique, l’historien et politologue Nicolas Rousselier (Sciences Po), auteur de La force de gouverner (Gallimard), propose une lecture lucide de la situation institutionnelle que traverse la France. Depuis la dissolution de 2024, l’Assemblée nationale évolue dans une configuration inédite : l’effacement du « fait majoritaire », ce pilier implicite de la Ve République qui garantissait au gouvernement une majorité stable, assurée… parfois même avant le début des débats.

Cette ère est révolue. Désormais, aucun groupe ne détient seul la capacité de faire adopter un texte. Pour un temps, certains y ont vu l’occasion d’un renouveau parlementaire, d’une démocratie plus délibérative. Mais l’espoir s’est fracassé sur un épisode sans précédent : 401 députés ont voté contre le budget qu’ils avaient eux-mêmes contribué à façonner. Une absurdité apparente, mais qui traduit une réalité profonde : un texte assemblé par fragments, où chaque camp reconnaît sa contribution mais refuse l’ensemble.

Pour Rousselier, l’échec ne résulte ni d’une incapacité culturelle française à construire des compromis, ni d’une fatalité politique. Il naît de deux phénomènes entremêlés. D’abord, la crise des partis : effrités, fragmentés, remplacés par des factions et des figures individuelles plus que par des organisations disciplinées. Ensuite, un cadre institutionnel inadapté : un parlementarisme « rationalisé » devenu étouffant, des délais budgétaires intenables, un usage illimité des amendements qui transforme le travail législatif en chaos organisé.

Face au blocage, l’historien plaide pour une philosophie de l’action inspirée de la pensée chinoise : observer les circonstances avant de décider. La crise révèle les points de rupture — rôle des commissions, limites du droit d’amendement, manque d’expertise indépendante — autant d’éléments qu’il faudra réformer pour restaurer un travail parlementaire viable.

Rousselier voit aussi émerger, presque malgré elle, une reconfiguration des rôles : un Parlement appelé à légiférer tant bien que mal, un Premier ministre réduit au pilotage quotidien, et un président recentré sur les grands enjeux internationaux et régaliens. Une séparation des tâches qui ne relève pas d’un choix, mais de la logique des circonstances.

Quant aux solutions immédiates — dissolution, anticipations électorales — il les juge peu porteuses : elles ne feraient que prolonger l’instabilité. Mieux vaut accepter un temps politique ralenti, viser 2027, et laisser mûrir un débat national sur les vrais sujets : déficit, transition écologique, avenir du modèle social.

Sa conclusion ouvre un horizon d’espérance : s’inspirer de la tradition juive de la réparation. Ne pas rêver d’un grand soir institutionnel, mais identifier les points précis à réparer, pierre après pierre. Une invitation à la lucidité, mais aussi à la patience démocratique.

Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Remerciements : Nicolas Rousselier
Entretien mené par : Frédérick Casadesus, Jean-Luc Mouton
Technique : Paul Drion, Horizontal pictures