Face aux réactions suscitées par le dernier sondage Ipsos sur les musulmans de France, le Grand Imam de Bordeaux, Tareq Oubrou, et le pasteur Pierre Lacoste livrent une analyse croisée qui invite à la nuance. Pour Tareq Oubrou, les conclusions avancées reposent sur « des vocables ambivalents » qui biaisent les réponses : « On utilise la sharia, l’islamisme, la loi musulmane… des mots qui couvrent beaucoup de réalités herméneutiques et sociologiques. » Il rappelle que l’échantillon mélange « des Français et des résidents pas forcément acculturés », ce qui rend « difficile d’évaluer la scientificité et la représentativité du sondage ».

L’imam souligne aussi plusieurs contradictions internes : « Beaucoup disent que la sharia prime sur les lois de la République, mais plus de 70 % acceptent qu’un musulman quitte sa religion. » Selon lui, ce sont des réponses « émises par des musulmans sociologiques qui ne connaissent pas forcément ce qu’est la sharia ».

Pour Oubrou, la perception d’une montée du rigorisme s’explique aussi par un contexte plus large : « Plus le nombre augmente, plus la visibilité de l’islam transparaît. » Et l’insistance médiatique sur les dérives minoritaires « finit par majorer un phénomène minoritaire », au point que « les Français ne comprennent rien à ce qui se passe » et que même « des musulmans de l’intérieur » peinent à interpréter cette visibilité. Il ne parle pas d’“islamophobie idéologique”, mais plutôt d’« une peur de l’islam due à une présence qui n’est pas comprise ».

Le pasteur Pierre Lacoste partage cette inquiétude face aux interprétations rapides : « À partir du moment où les médias rendent visible ceci ou cela, on pense que c’est une vérité indiscutable. » Mais il observe aussi « un désir de sens, notamment chez les jeunes », lié à « l’effondrement d’une vision commune de la société ». Le retour du religieux, dit-il, doit être examiné « à ses fruits » : produit-il « de la paix, du lien, de la fraternité » ou « de l’exclusion et de la haine » ?

Tous deux appellent à reprendre le chemin de la rencontre. « Le pire, c’est de parler de l’autre dans l’entre-soi », insiste Pierre Lacoste, exhortant chacun à « frapper à la porte d’une mosquée » plutôt que de commenter de loin. Oubrou ajoute : « Il faut rencontrer celui qui est différent. Dieu a rencontré l’homme. Le croyant doit être à l’image de Dieu, être généreux avec une grâce disponible à tout le monde. »

Dans un climat crispé, ils lancent un avertissement commun : « Il vaut mieux échanger des idées que des balles. » Et une conviction : le dialogue reste la seule réponse solide à la peur.

Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Remerciements : Pierre Lacoste, Tareq Oubrou
Entretien mené par : David Gonzalez
Technique : Paul Drion