La croix singularise le christianisme par rapport aux autres religions. Pour les disciples, elle était un scandale, elle est devenue une expérience de salut ; elle était un signe d’abandon, elle est devenue le signe d’une présence dans l’épreuve ; elle était une malédiction, elle est devenue la marque de leur foi.
La question éternelle posée à notre humanité est celle du mal. Il reste pour nous un scandale, en sachant qu’étymologiquement, le scandale, skandalon en grec, est le caillou sur lequel on bute et qui nous fait tomber.
L’évangile ne propose pas une théorie sur le mal, il ne nous apporte pas une explication, en revanche il ne l’ignore pas. Il raconte que le Christ, celui qui a été appelé Parole de Dieu, fils de Dieu, Seigneur et sauveur du monde, celui-là a été crucifié, condamné, écrasé par les forces du mal.
Ce fait singularise le christianisme quand on le compare avec les autres religions.
Selon la tradition, Moïse est mort face à la terre promise, à l’âge de cent vingt ans, sans que sa vue se soit brouillée ni que sa vigueur ait diminué.
Le Bouddha est décédé à quatre-vingts ans, au milieu de ses disciples, après avoir réuni une grande communauté de moines et de moniales.
Confucius, revenu vers la fin de sa vie à Lou d’où il avait été chassé, s’éteint après s’être consacré à la formation d’un groupe de disciples et à la rédaction de son enseignement.
Mahomet, enfin, après avoir savouré les dernières années de sa vie comme chef politique de l’Arabie, meurt dans son harem, dans les bras de sa favorite.
Jésus est mort jeune, rejeté par la société, trahi et renié par ses disciples, abandonné des hommes et de Dieu. Il meurt d’un supplice qui reste parmi les plus barbares que la cruauté des hommes ait inventés.
Comment comprendre cela ?
On ne peut pas l’expliquer, encore moins le justifier, peut-être faut-il se contenter de l’entendre. Pour ce faire, nous écouterons le témoignage de trois hommes : un écrivain, un intellectuel et un théologien.
L’écrivain est François Cheng. Il raconte que lorsqu’il avait 8 ans, le Japon a déclenché une guerre contre son pays, la Chine. Il a découvert les horreurs de la guerre, les exécutions en masse, les concours de décapitation, les jeunes filles violées, les femmes enceintes éventrées… Il a pensé qu’aucune vérité en ce monde n’avait de sens si elle ne pouvait se tenir face à cette réalité. Il a erré jusqu’au jour où il a rencontré le Christ qui, à la croix, a affronté le mal radical tout en montrant que l’amour restait le bien absolu.
L’intellectuel est Umberto Eco qui a écrit : « Si je considère que Dieu n’existe pas, je dois me demander comment une partie de l’humanité a eu assez d’imagination pour inventer un dieu fait homme et acceptant de se laisser mourir pour l’amour de l’humanité… Cette humanité a fait des choses effrayantes, c’est certain, mais elle a su inventer ça ! Auparavant, elle inventait des dieux qui dévoraient leurs fils, des dieux adultères, des divinités mauvaises, boulimiques, qui mangeaient les êtres humains. Et puis elle a conçu l’idée du sacrifice de l’amour. Pas mal ! Dans ce sens l’invention du christianisme est une belle justification de l’existence de notre espèce, de son droit à l’existence. »
Le théologien est Jürgen Moltmann. Il raconte qu’il a été élevé en dehors de toute préoccupation religieuse et qu’il lisait avec bonheur Goethe et Nietzsche. En juillet1943, il vivait à Hambourg lorsque 1000 bombardiers de la Royal air force ont largué sur sa ville des bombes incendiaires qui ont fait 40.000 morts en une semaine. Il s’est alors entendu crier : « Dieu, où es-tu ? » À la fin de la guerre, il a passé trois ans dans un camp de prisonniers à essayer de comprendre ce qu’il s’est passé. Un aumônier lui a offert une Bible, et il a été bouleversé par les psaumes de lamentation et le cri de Jésus en croix « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné. » Il a trouvé dans ce cri un courage de vie, et a pris la décision d’entreprendre des études de théologie.
La croix est la réponse que Dieu a apportée à l’énigme du mal. Au lieu de supprimer ses ennemis, il a préféré se laisser crucifier.
Cette logique paradoxale a accompagné les premiers chrétiens. À travers les luttes, les dangers et les souffrances, ils ont vécu dans l’assurance que Dieu partageait leur chemin. La croix était un scandale, elle est devenue une expérience de salut ; elle était un signe d’abandon, elle est devenue le signe d’une présence dans l’épreuve ; elle était un signe de malédiction, elle est devenue la marque de leur foi.
Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Texte : Antoine Nouis
Présentation : Gérard Rouzier