Prophètes en temps de crise : marcher à la lumière d’Ésaïe
Comment lire aujourd’hui les paroles des prophètes ? Que peuvent-elles encore dire à l’Église, aux lectrices et lecteurs de la Bible, dans un monde traversé par les crises politiques, écologiques et spirituelles ?
Rodrigo de Sousa, enseignant de Premier Testament à l’Institut protestant de théologie, propose de comprendre la parole prophétique comme une ressource essentielle pour nourrir une espérance lucide.
D’emblée, il rappelle que nous employons souvent le mot prophétique de manière métaphorique, pour désigner un discours critique sur la société. Or la tradition biblique est plus complexe. Les recherches exégétiques depuis le XIXᵉ siècle ont montré que les « livres des prophètes » ne sont pas la simple transcription des paroles d’un individu inspiré, mais le fruit d’un tissage communautaire, de couches rédactionnelles successives qui ont repris, amplifié, réinterprété ces paroles au fil des générations.
Plutôt que de chercher désespérément les « véritables mots » d’Ésaïe ou de Michée, Rodrigo de Sousa invite à recevoir ces livres tels qu’ils nous parviennent aujourd’hui : comme des récits structurés, porteurs de sens, dans lesquels les prophètes deviennent des acteurs d’une histoire que Dieu écrit avec son peuple.
Le texte d’Ésaïe 2,2-4 – repris quasiment à l’identique en Michée 4 – sert de fil rouge. On y voit les nations monter vers la montagne de Dieu, désapprendre la guerre et transformer les épées en socs de charrue. Chez Michée, cette vision s’inscrit dans une promesse de sécurité pour Israël. Chez Ésaïe, elle est immédiatement suivie d’un constat sévère : le pays est rempli d’idoles, de richesses et de chars de guerre. Deux tableaux se superposent : le rêve d’un avenir de paix et la dureté d’un présent marqué par la violence.
C’est là, explique Rodrigo de Sousa, que se joue la force de l’imagination prophétique. Elle fonctionne toujours avec deux dimensions :
- un pôle critique, qui dévoile le monde tel qu’il est, avec ses injustices, ses compromissions, ses logiques de mort ;
- un pôle énergisant, qui ouvre un avenir, suscite une autre manière de vivre, fait espérer au-delà de l’évidence.
Être prophétique, ce n’est ni se réfugier dans un optimisme naïf, ni s’installer dans le désespoir. C’est accepter l’angoisse devant le réel – l’angoisse d’Isaïe face à un pays saturé d’armes – tout en laissant travailler en nous la vision d’un monde désarmé, où l’énergie est tournée vers la terre, la vie, l’agriculture plutôt que la guerre.
Pour les chrétiens, cette dynamique culmine dans la croix et la résurrection du Christ : la croix comme critique la plus radicale du monde tel qu’il est, la résurrection comme source d’une espérance qui ne se confond pas avec l’optimisme. Lire les prophètes, c’est alors se laisser insérer dans une histoire plus vaste, celle d’un Dieu qui accompagne son peuple à travers les catastrophes, les exils et les retours.
Dans un contexte de guerres, de dérèglement climatique, d’inquiétude pour l’avenir, la parole prophétique ainsi comprise n’est pas un luxe érudit. Elle nous appelle à marcher dès aujourd’hui à la lumière de cette espérance, comme y invite Isaïe :
« Venez, marchons à la lumière du Seigneur. »
Non pour fuir le réel, mais pour le regarder en face et y inventer, humblement, des chemins de justice et de paix.
Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Remerciements : Rodrigo de Sousa
Propos recueillis par Jean-Luc Mouton et David Gonzalez
Technique : Anne-Valérie Gaillard
Dans le cadre de la Pastorale nationale de l’Amicale des Pasteurs à la retraite, deux journées de conférences denses et stimulantes ont réuni à Sète des intervenants venus croiser géopolitique, écologie, philosophie et théologie : Pierre Bousquet de Florian sur les nouveaux conflits, Martin Kopp sur la crise climatique, Philippe Gaudin sur l’épuisement des utopies, Rodrigo de Sousa et Céline Rohmer sur les ressources bibliques de l’espérance, avant une conclusion portée par Frédéric de Coninck et Christine Pedotti autour d’une question essentielle : comment vivre et partager une espérance pour aujourd’hui et demain ?
