Dans nos deuils, l’apôtre Paul ne nous demande pas de ne pas être triste, mais de ne pas nous attrister comme les autres. Notre peine est traversée par une espérance, l’assurance que la personne qui nous a quittés est en Dieu et que nous sommes appelés à la vie. Cette espérance nous libère du besoin de représentation.
Le philosophe Gustave Thibon a écrit dans ses vieux jours : « Je sens mûrir la mort en moi. Je vois bien que la loi du fruit vert est de s’accrocher à la branche mais que la loi du fruit mûr est de se détacher, sinon il se dessèche et pourrit. Il faudrait mourir comme le veut Marc Aurèle avec sérénité : ″comme une olive qui, parvenue à maturité, tomberait en bénissant la terre qui l’a portée, et l’arbre qui l’a nourrie″. Seulement, je sens fortement cette bipolarité, nous ne sommes pas des olives. Il est à la fois naturel et inhumain de mourir. »
Cette ambivalence est le signe de notre attitude devant la mort. Chaque fois que la mort vient arracher un être que nous aimons, nous sommes déstabilisés par un manque, un vide, une absence. Nous nous trouvons confrontés dans notre chair à la grande question du sens de la vie et de la mort.
Dans la Bible, un mot évoque la réalité de la mort, c’est celui de scandale, skandalon en grec. Le skandalon est la petite pierre qui fait trébucher. Nous avançons dans la vie, et voilà que notre pied heurte une pierre qui nous fait tomber. Ceux qui ont perdu un proche sont confrontés, dans toute sa crudité, au skandalon de la maladie, de l’accident, de la vieillesse et de la mort.
Dans une épreuve comme celle du deuil, l’espérance chrétienne nous invite à écouter le message des Écritures. En interrogeant la Bible sur le sens de la mort, nous pouvons dire trois choses.
Au commencement de l’histoire de l’Église se trouve une victoire sur la mort. À la mort de Jésus, le combat de sa vie est un échec radical. Voilà un homme qui a essayé de renouveler notre regard sur Dieu, qui a parlé aux foules et qui a rassemblé quelques disciples. Les forces de répression se sont abattues sur lui. Il a été abandonné des siens et meurt seul. À ce moment de l’histoire, la vie de Jésus de Nazareth ne vaut pas une ligne dans une encyclopédie de l’histoire de l’humanité. Et pourtant, nous savons que de cet échec radical est né le mouvement qui a peut-être le plus influencé l’histoire de l’humain. Est-ce un hasard improbable, ou ce Jésus de Nazareth était-il plus que ce que sa biographie permet de savoir ? Si le mouvement de Jésus s’est poursuivi après sa mort, c’est parce que ses disciples ont pris le relais. Ils se sont relevés, ils ont parlé, ils sont partis sur les routes, ils ont conquis l’ensemble de l’Empire romain en moins de trois siècles, sans verser une seule autre goutte de sang que celle de leurs martyrs. Lorsque les disciples étaient interrogés sur les raisons de leur témoignage, ils ont répondu : « Celui qui était mort, nous l’avons revu vivant. » L’histoire nous permet d’accorder une certaine crédibilité à cette affirmation.
Si l’histoire du christianisme commence par une victoire sur la mort, qu’en est-il de notre propre mort et de celle de ceux que nous aimons. Nous avons besoin de représentations pour penser notre espérance. La première épître aux Thessaloniciens déclare : « Nous ne voulons pas que vous soyez dans l’ignorance au sujet de ceux qui se sont endormis dans la mort, afin que vous ne vous attristiez pas comme les autres, qui n’ont pas d’espérance. En effet, si, comme nous le croyons, Jésus est mort et s’est relevé, alors, par Jésus, Dieu réunira aussi avec lui ceux qui se sont endormis. » Dans nos deuils, l’apôtre ne nous demande pas de ne pas être triste, mais de ne pas nous attrister comme les autres. Notre peine est traversée par une espérance, l’assurance que la personne qui nous a quittés est en Dieu. Cette espérance nous libère du besoin de représentation.
Cette annonce de la résurrection concerne aussi notre présent, l’évangile nous appelle à vivre une vie de ressuscité dès aujourd’hui. Sœur Myriam a écrit : « Vie et mort se mêlent. La mort est commencée, et la résurrection l’est aussi. Elle est à la fois derrière et devant nous. La résurrection est commencée lorsque nous espérons contre toute espérance. Elle est commencée dans les modestes victoires sur la paresse, la peur et le doute… Ressusciter n’est pas seulement un « à venir », c’est une semence présente. La résurrection n’est pas seulement l’heureuse fin qui nous conduira au paradis, mais la fructification de ce que nous a été donné en Christ. Choisir la vie est un acte résurrectionnel. »
Pour terminer, un témoignage. Dans un de ses livres Gilbert Cesbron évoque son rapport à la mort : « Vers l’âge de cinquante ans, j’accomplis ma révolution… Auparavant, je pensais à la mort, mais, comme chacun, je la voyais à travers la vie, au bout du corridor. Je m’avisai, ce jour-là, que tout avait basculé : c’était la vie, le restant de ma vie que désormais je voyais à travers la mort. J’avais « digéré » la certitude de mourir : de mourir dans la peur, quelle que soit ma foi ; dans la solitude, quel que soit l’amour des miens ; et dans les souffrances que je n’aurais peut-être pas le courage de supporter dignement. C’était une chose acquise ; à présent je me tiendrai de ce côté-là de la frontière. Et cependant, au cœur de ce désespoir accepté, il y aurait encore le soleil de juin, le vent vivant, les fêtes qu’on prépare, les veilles de vacances… Que c’était bon de vivre, même à l’ombre constante de la mort ! Décidément, pour la première fois, la joie l’emportait. J’avais cinquante ans. »
Production : Fondation Bersier
Texte : Antoine Nouis
Présentation : Gérard Rouzier