02.04.2023 : Mt 21.1-11 – Rameaux

Un pouvoir paradoxal

Introduction

Dans le chapitre qui précède, la mère des fils de Zébédée est intervenue auprès de Jésus pour lui demander que ses fils soient à sa droite et à sa gauche dans son royaume et Jésus a répondu qu’elle ne savait pas ce qu’elle demandait.

Il a profité de cette demande insolite pour délivrer sa vision du pouvoir : Vous savez que les chefs des nations dominent sur elles en seigneurs, et que les grands leur font sentir leur autorité. Il n’en sera pas de même parmi vous. Au contraire, quiconque veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur et quiconque veut être le premier parmi vous sera votre esclave. C’est ainsi que le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude (Mt 20.25-28). Dans le récit des Rameaux, il va incarner cette parole en signifiant une royauté paradoxale.

Points d’exégèse

Attention sur deux points.

L’ânesse et l’ânon

Jésus envoie ses disciples pour chercher une ânesse et un ânon pour entrer à Jérusalem. La logique aurait voulu qu’il chevauchât l’ânesse qui était plus robuste qu’un ânon pour le porter dans la montée de Jérusalem, mais il a choisi l’ânon. Il n’a pas chevauché un ânon par défaut, parce qu’il n’avait pas d’autres choix, mais pour poser un signe dans la lignée des prophètes du Premier Testament qui ont souvent parlé par signes. Au moment où il arrive à Jérusalem, il signifie la royauté qu’il compte incarner.

Les branches coupées

La foule dépose des vêtements devant Jésus, d’autres coupent des branches. L’évangile de Jean précise que ce sont des branches de palmiers (Jn 12.13). Dans le Premier Testament, le palmier est une image du juste (Ps 92.13) et du beau (Ct 7.8). On avait l’habitude d’en agiter lors de la fête des Tentes qui rappelle la précarité du désert (Lv 23.40).

Comme l’ânon, les branches sont un langage. Agiter des branches de palmier est un signe de réjouissance, c’est aussi une autre façon de confesser que Jésus est celui qui vient au nom du Seigneur.

Pistes d’actualisation

1er thème : Image messianique

Nous trouvons dans le Premier Testament plusieurs images messianiques, on peut citer la figure de l’accomplissement royal, davidique ; la figure de Cyrus comme messie historique ; la figure du serviteur souffrant des prophètes de l’Exil ; et enfin la figure, teintée d’apocalypse, du fils de l’homme de l’époque syrienne. En chevauchant un ânon, Jésus incarne un messie humble et pacifique selon la prophétie de Zacharie : Il est là, ton roi, il vient à toi ; il est juste et victorieux, il est pauvre et monté sur un âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse (Za 9.9).

On se souvient que dans le récit de la tentation, le diable a proposé à Jésus la gloire et tous les royaumes du monde s’il se prosternait devant lui, et Jésus a refusé, c’est en chevauchant un ânon qu’il est roi, pas en exerçant le pouvoir à la manière du diable.

2e thème : Le signe du vêtement déposé

La plupart des gens de la foule étendirent leurs vêtements sur le chemin. Dans le Premier Testament, des hommes ont enlevé leurs vêtements pour les déposer à terre lorsque Jéhu a été oint comme roi. L’histoire est la suivante : Élisée envoie un de ses disciples auprès de Jéhu pour lui donner l’onction. Lorsque les serviteurs de Jéhu retrouvent leur maître, ils ôtent leurs vêtements et les mettent sous Jéhu, sonnent du cor et proclament : Jéhu est roi ! Ensuite Jéhu part et massacre le roi de Juda et le roi d’Israël, ainsi que toute la famille de la reine Jézabel qui avait fait tuer de nombreux prophètes (2 R 9).

Si ce parallèle est juste, il y a un énorme malentendu entre le signe de l’ânon et celui des vêtements disposés sous les pieds de Jésus. Jésus n’est pas un roi qui va massacrer ses ennemis, mais un agneau qui va être broyé par les religieux.

3e thème : Jésus prophète

Lorsque les habitants de Jérusalem s’interrogent sur la personne de Jésus, la foule répond : C’est le prophète Jésus, de Nazareth de Galilée.

Jésus est désigné comme prophète alors qu’il n’a pas prononcé la moindre parole. Comme souvent les prophètes, il a parlé par signes. Ésaïe et Michée ont marché nus et déchaussés, Jérémie a porté un joug de fer, Ézéchiel a fait cuire sa nourriture sur des excréments et Osée a épousé une prostituée. Dans la même veine, Jésus a chevauché un ânon parce que parfois un signe est plus éloquent qu’un discours. Le signe n’impose pas, il invite, il suggère.

Jésus est prophète, mais il est plus que prophète car par son signe il dit quelque chose de Dieu, un Dieu humble qui est prêt à se faire le plus petit, le plus rejeté pour se dire au monde.

Une illustration : Le grand inquisiteur

Le signe de l’ânon est au cœur de l’évangile, et il a trop souvent été mal entendu par l’Église qui a préféré le pouvoir et la domination à l’humble service. Dans la légende du grand inquisiteur, Dostoïevski raconte que le Christ revient à Séville au temps de l’inquisition. Il guérit quelques malades et s’adresse à la foule mais il est vite arrêté par le Grand Inquisiteur qui le condamne au bûcher. Le soir, le responsable religieux va le trouver dans sa cellule et lui demande pourquoi il est venu. Il ne doute pas que Jésus est le Christ, mais il pense que les hommes sont incapables de vivre dans la liberté et le dépouillement qu’il leur a laissés. Il leur faut les assurances de la religion. C’est dans ce sens que l’Église a « corrigé » l’œuvre du Christ : à la foi dans la liberté et dans l’amour, elle a substitué le mystère et l’autorité.

Pour aller plus loin :
Le théologien Antoine Nouis reçoit Amos-Raphaël Ngoua Mouri, pasteur de l’Eglise protestante unie de France, pour discuter de Matthieu 21, 1-11 : https://regardsprotestants.com/video/bible-theologie/jesus-est-acclame-par-la-foule/

Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Intervenant : Antoine Nouis