18.09.2022 : Luc 16.1-13 – L’intendant habile
La déconstruction de l’argent
Introduction
L’évangile de Luc est celui qui parle le plus d’argent. Habituellement les versets disent de ne pas s’attacher à nos possessions et à distribuer nos biens. Le passage d’aujourd’hui est surprenant et d’une tonalité totalement différente puisqu’il parle d’une pratique malhonnête qui est louée de la part de celui qui est floué. Le dernier verset qui rappelle qu’on ne peut servir Dieu et Mamon est une clef d’une parabole qui déconstruit notre relation à l’argent.
Points d’exégèse
Attention sur deux points.
À qui s’adresse la parabole ?
Le premier verset dit que Jésus parlait aux disciples, la parabole est une profanation de notre rapport à l’argent et le verset qui suit notre séquence dit que les pharisiens, qui aimaient l’argent, écoutaient tout cela et tournaient Jésus en dérision (16.14). Jésus parle à ses disciples, mais les pharisiens entendent son enseignement.
La différence entre les disciples et les pharisiens tient dans leur relation à l’argent. Dans quelle catégorie nous situons-nous ?
La théologie à coup de marteau
En racontant cette parabole, Jésus n’hésite pas à choquer ses interlocuteurs comme il l’a déjà fait en se permettant de remettre les péchés du paralysé (Lc 5.20), en faisant exprès de guérir des malades le jour du sabbat (Lc 6.2, 13.14) et en acceptant de se laisser essuyer les pieds par une femme pécheresse (Lc 7.38). Jésus veut provoquer chez ses interlocuteurs un choc pour ébranler leurs certitudes et souligner la nouveauté radicale de son Évangile.
Pistes d’actualisation
Comme toutes les paraboles, elles peuvent avoir plusieurs interprétations. Nous en proposerons trois qui peuvent être complémentaires.
1ère interprétation : Quelles sont nos dettes ?
L’intendant va trouver les débiteurs de son maître et leur demande combien il leur doit ? Le verbe utilisé (opheilô) a la même racine que la parole du Notre Père dans laquelle nous demandons à Dieu de remettre nos dettes (opheiléma) comme nous les remettons à nos débiteurs. Cette parole est habituellement priée en disant : Remets-nous nos offenses. Les dettes seraient des offenses.
Ce rapprochement est une des clefs d’interprétation de la parabole dans une lecture allégorique. Si le propriétaire est Dieu, les dettes représentent ce qui nous sépare de lui, en théologie cela s’appelle le péché. Si le propriétaire est Dieu, l’intendant représente l’Église des disciples, dont la mission première est de remettre les péchés des débiteurs.
Cette lecture nous rappelle que le règne de Dieu ne se gère pas comme une entreprise, c’est le règne et de la grâce et de la générosité, du pardon et de la remise des dettes.
2ème interprétation : La profanation de l’argent
Jésus appelle l’argent le Mamon de l’injustice. Le nom Mamon évoque la dimension diabolique de l’argent. L’argent a un pouvoir de fascination qui a tendance à enfermer les humains dans les filets de sa logique. Pour l’amour de l’argent, nous avons vu des humains transgresser les valeurs qui leur étaient les plus précieuses.
Cette parole démolit la fascination de l’argent en le profanant en parlant d’une utilisation contre-productive. À l’inverse de la lecture allégorique, une parabole peut s’interpréter à partir des points de rupture du récit. Ici dans l’annonce que l’argent doit être utilisé non pour le commerce, mais pour se faire des amis.
3ème interprétation : Les gens de ce monde et les fils de la lumière
La conclusion de la parabole dit que les gens de ce monde sont plus avisés dans leurs rapports à leurs semblables aux fils de la lumière. L’expression fils de la lumière fait penser aux Esséniens qui étaient une secte de purs qui se donnaient ce titre à eux-mêmes. Cette parabole se rapproche de celle du pharisien et du collecteur de taxes (Lc 18.9-14) pour nous rappeler que les pêcheurs sont parfois plus proches de Dieu que les religieux les plus scrupuleux.
La conclusion enfonce le clou en disant que ce sont ceux qui ont été au bénéfice du Mamon de l’injustice qui accueilleront les religieux dans les demeures éternelles.
Une illustration : Saint Pierre et le Monopoly
Sur la profanation de l’argent, une parabole raconte l’histoire d’un homme qui a beaucoup économisé au point de devenir riche. Quand il meurt, il demande le privilège d’emporter un peu de son argent au ciel. À force d’insister, il finit par obtenir satisfaction. Quand il arrive devant St Pierre, ce dernier regarde ce qu’il y a dans la valise de l’homme. Quand il voit tous les billets de banque, il s’écrie : « Chouette, j’ai toujours eu envie de jouer au Monopoly. »
Pour aller plus loin :
Le théologien Antoine Nouis reçoit Christine Pedotti, écrivain, journaliste et directrice de la rédaction de Témoignage chrétien, pour discuter Luc 16, 1-13 : https://regardsprotestants.com/video/bible-theologie/la-parabole-de-lintendant-habile-expliquee/
Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Intervenant : Antoine Nouis