L’évangile du dimanche du 26 octobre (Luc 18, 9-14)
L’orgueil de la vertu
Introduction
La parabole du juge et de la veuve que nous avons méditée la semaine dernière mettait en scène un fort – un juge qui ne craint pas Dieu et qui n’a d’égard pour personne – et un faible – une veuve qui n’a personne pour la protéger.
Dans la même veine, cette parabole oppose un juste qui obéit bien aux prescriptions de la loi et un injuste qui cumule les défauts d’être collaborateur des Romains et riche.
Les deux paraboles ont en commun de jouer sur le renversement des valeurs.
Points d’exégèse
Attention sur deux points.
Pour ceux qui se croient justes
La parabole s’adresse à ceux qui sont persuadés d’être justes et qui méprisent les autres. Elle s’adresse aux différents pharisiens de toutes les époques.
L’adresse soulève une dérive qui est très commune : il est très difficile d’essayer de vivre comme un juste et de ne pas penser secrètement que le monde irait mieux si tout le monde était comme soi.
Le pharisien prie devant lui-même
Le texte dit que le pharisien priait en lui-même, la préposition (pros) peut se traduire devant lui-même, ou vers lui-même. Le pharisien ne s’adresse pas au Seigneur il se complaît dans sa vertu. À qui dit-il qu’il n’est pas comme les autres car il prie, il jeûne et il donne la dîme de ses revenus ? Pas à Dieu, il le sait déjà. La seule personne à qui il parle, c’est lui-même. Le pharisien prie, mais c’est pour prendre Dieu à témoin de ses propres mérites. Il est l’illustration de ce qu’on appelle l’orgueil de la vertu.
Pistes d’actualisation
1er thème : La prière, la dîme et le jeûne
Le pharisien prie pour lui-même et il se félicite de ce qu’il jeûne et qu’il donne la dîme. Sur ces trois thèmes, il est à l’opposé de ce que Jésus a enseigné dans le sermon sur la montagne lorsqu’il a dit que lorsqu’on fait l’aumône, il faut le faire discrètement ; que quand on prie, il faut rester dans le secret ; et que lorsqu’on jeûne, il faut que ça ne se voie pas.
À ceux qui sont généreux, qui prient et qui jeûnent pour se faire bien voir, ce qui est le cas du pharisien de la parabole, Jésus déclare qu’ils ont déjà leur récompense.
2e thème : Regard sur les autres
Le pharisien rend grâce (mot à mot il rend l’eucharistie), mais il rend grâce de ce qu’il n’est pas comme les autres qui sont rapaces, injustes et adultères. Autrement dit, il rend grâce de pouvoir juger les autres, ce qui est le contraire de la grâce.
La béatitude qui a été le plus commentée par les Pères de l’Église est celle qui dit : Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu. Les cœurs purs sont ceux qui voient le monde avec les yeux de Dieu, qui sont capables de poser un regard positif sur les efforts des hommes. Si le pharisien avait eu les yeux de Dieu, il aurait vu la prière d’humilité du collecteur des taxes, mais il est enfermé dans son orgueil et son jugement et il ne voit dans son compagnon de prière que ce que ses préjugés lui disent.
3e thème : Le péager
À l’inverse du pharisien, le péager est dans une attitude juste en ce qu’il est dans l’humilité, c’est pourquoi il est rentré chez lui justifié.
Un parallèle du Premier Testament se trouve dans l’histoire du roi David. Dans le livre des Rois, le Seigneur dit de David qu’il a marché avec un cœur intègre et avec droiture et qu’il a fait exactement ce qu’il avait ordonné (1 R 9.4). David a suivi exactement les prescriptions de Dieu ? Pourtant il a commis l’adultère avec Bethsabée et il a ordonné un recensement malheureux, mais comme il a été pardonné, ses erreurs sont oubliées et il est considéré comme totalement juste.
Le piège de cette parabole est qu’elle met en valeur l’humilité, et qu’il n’y a rien de plus orgueilleux que de chercher à être humble. Nous devons être conscients de la caricature de ce petit poème de l’humouriste allemand Eugen Roth : « Un homme regarda une fois de plus près l’histoire du pharisien qui remercie Dieu plein d’hypocrisie parce qu’il n’est pas un collecteur de taxes. Dieu soit loué ! s’écria-t-il dans sa vanité, je ne suis pas un pharisien ! »
Une illustration : Péguy les vertueux qui ne mouillent pas à la grâce
En pensant au pharisien, Charles Péguy a écrit : « Les honnêtes gens ne mouillent pas à la grâce. C’est une question de physique moléculaire et globulaire. Ce qu’on nomme la morale est un enduit qui rend imperméable à la grâce… De là vient que les êtres qui nous sont les plus chers, s’ils sont malheureusement enduits de morale, sont inattaquables à la grâce, inentamables. »
La deuxième épître à Timothée du dimanche 26 octobre (2 Timothée 4.6-18)
Les adieux de Paul
Le contexte – La deuxième épître à Timothée
Comme toutes les épîtres pastorales, la deuxième épître à Timothée est considérée comme ayant été écrite par un des disciples de Paul. C’est pourtant une lettre dans laquelle il multiplie références personnelles.
Paul pense qu’il va bientôt mourir et il dit au revoir à celui qui a été son disciple, qu’il a circoncis de ses mains (Ac 16.3) et qu’il appelle mon enfant bien-aimé (2 Tm 1.2). La lettre se présente comme un passage de témoin. Paul a mené le combat de la foi, c’est maintenant à Timothée de poursuivre l’œuvre qu’il a commencée.
Que dit le texte ? – J’ai mené le bon combat
Le livre des Actes des Apôtres et les lettres pauliniennes le présentent comme un des fondateurs de l’Église. C’est lui qui a été l’artisan de l’ouverture de l’Église aux non-juifs, qui a évangélisé et qui a fondé de nombreuses communautés. Dans la première épître aux Corinthiens, il a dit : la grâce de Dieu envers moi n’a pas été inutile ; au contraire, j’ai travaillé plus qu’eux tous, avant d’ajouter un bémol à cette affirmation : non pas moi toutefois, mais la grâce de Dieu qui est avec moi (1 Co 15.10). Il pourrait légitimement être fier de ce qu’il a fait, mais la seule œuvre qu’il met en avant est de ne pas avoir perdu la foi : J’ai mené le beau combat, j’ai achevé la course, j’ai gardé la foi.
Un texte anonyme s’applique bien à la foi de Paul : « J’aime les vieux, les anciens dans la foi, ceux dont la foi a duré, qui ont vieilli dans la foi ; ceux dont la foi s’est embellie comme le bon vin qui vieillit avec l’âge, qui ne se dégrade pas avec le temps mais s’enrichit de saveurs nouvelles. » C’est cette foi qui lui permet de dire à la fin de notre passage : Le Seigneur me délivrera de toute œuvre mauvaise et me sauvera pour son royaume céleste. À lui la gloire à tout jamais ! Amen ! Un bel exemple de confiance pour Timothée et pour nous !
Quel est le lien avec le passage de l’Évangile ? – Le pharisien et le péager
Le pharisien de la parabole est un homme exemplaire qui pense qu’il a la foi mais qui a remplacé sa foi par une discipline irréprochable. Il a le cœur dur envers ceux qui ne sont pas aussi justes que lui puisqu’il en vient à mépriser qui n’ose lever les yeux vers le ciel.
Le combat de la foi – et Paul nous montre le chemin – consiste à rester ferme dans ses convictions tout en étant compatissant avec son prochain. Jacques Maritain a écrit : « Il nous faut avoir l’esprit dur et le cœur mou, alors que nous sommes tentés d’avoir le cœur dur et l’esprit mou. »
Le livre du Deutéronome du dimanche 26 octobre (Deutéronome 10.12-11.1)
La loi d’amour et d’obéissance
Le contexte – Le livre du Deutéronome
La tradition considère le livre du Deutéronome comme le testament de Moïse. Comme toute relecture de l’histoire, il ne rapporte pas tout ce qui s’est passé pendant la période de l’Exode, mais il retient ce qui est le plus important à ses yeux.
Les versets qui précèdent notre passage reprennent une séquence que l’on trouve dans le livre de l’Exode : Pendant que Moïse est monté sur l’Horeb pour recevoir les Tables de la loi, comme il tardait à revenir, le peuple a paniqué et s’est construit un veau d’or. Le Seigneur a voulu détruire son peuple qui est devenu idolâtre, mais il s’est heurté à l’intercession de Moïse qui a pris la défense des siens. Le Seigneur a alors pardonné à son peuple et a redonné à Moïse des Tables de la loi.
Après le rappel de ces événements, Moïse résume aux enfants d’Israël la volonté de Dieu pour eux dans le passage de cette semaine.
Que dit le texte ? – Aimer le Seigneur
Le dernier verset résume la séquence : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, et tu garderas toujours ses observances, ses prescriptions, ses règles et ses commandements. Le commandement qui demande d’aimer Dieu de toute sa personne et au cœur de la confession de foi d’Israël (Dt 6.5), mais que signifie aimer Dieu. À partir des versets qui précèdent, nous pouvons évoquer trois pistes.
Que demande de toi le Seigneur, ton Dieu, si ce n’est que tu craignes le Seigneur, ton Dieu, en suivant toutes ses voies. Craindre le Seigneur ne signifie pas qu’on doive avoir peur de lui, mais qu’on doive prendre la foi au sérieux. Le risque qui menace tout parcourt de foi est celui de l’habitude, de ne plus s’inquiéter de l’évangile, de devenir oublieux.
Vous circoncirez donc votre cœur. La circoncision est un renoncement. Aimer Dieu, c’est renoncer à courir derrière les idoles de notre monde, idole du conformisme, de la consommation et de la satisfaction de nos envies. Circoncire notre cœur, c’est mettre Dieu à la première place dans notre histoire.
Le Seigneur défend le droit de l’orphelin et de la veuve, il aime l’immigré et lui donne du pain et un manteau. L’amour de Dieu se repère dans son attitude avec les petits. Quand le Seigneur veut savoir comment son peuple l’aime, il regarde comment il traite la veuve, l’orphelin et l’émigré.
Quel est le lien avec le passage de l’Évangile ? – Le pharisien et le péager
Le danger qui menace ceux qui essayent de suivre sérieusement la loi de Dieu est celui du pharisaïsme. Le pharisien est scrupuleux dans sa foi, mais il est fier de ses œuvres et il cultive ce que saint Augustin appelait l’orgueil de la vertu. Cela le conduit à mépriser le publicain qui n’ose pas lever les yeux au ciel.
Le défi de la foi chrétienne est de vivre selon les commandements du Deutéronome tout en se considérant comme le plus ordinaire des membres du peuple de Dieu. Celui qui sait se faire petit est grand devant Dieu.
Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Intervenants : Antoine Nouis, Christine Pedotti