17.07.2022 : Luc 10.38-42 – Marthe et Marie

L’utile et le nécessaire

Introduction

Nous sommes dans la partie de l’évangile dans laquelle Jésus va de Galilée à Jérusalem. Le passage est plus thématique et théologique que géographique. Jésus est en chemin vers sa passion. Si la passion renverse les barrières entre Juifs et Samaritains comme dans la parabole qui précède, elle bouleverse aussi le rôle traditionnellement occupé par les femmes comme dans ce récit.

Nous méditons en effet un des passages les plus féministes de l’évangile en ce qu’il déconstruit l’image de la femme qui doit rester silencieuse derrière ses fourneaux.

Points d’exégèse

Attention sur deux points.

Les repas dans le troisième évangile

La rencontre de Jésus chez Marthe et Marie s’inscrit dans la série des repas que l’on trouve dans le troisième évangile. À cette époque, les repas sont des marqueurs identitaires forts : on mange avec ceux de son groupe. Jésus va bouleverser les codes en utilisant les repas comme des occasions privilégiées pour parler du Royaume et de son inclusivité : le Seigneur de ce Royaume accorde une place particulière à sa table aux derniers arrivés, aux marginaux, aux étrangers. Le plus important dans les repas n’est pas la façon dont ils ont été préparés, mais le message qui est partagé.

Marie et le Samaritain

Ce récit se situe après la parabole du bon Samaritain avec laquelle elle entre en tension. À ne lire que la parabole du bon Samaritain, on pourrait entendre que la foi est uniquement une action au service des blessés de la vie. À ne lire que la rencontre de Jésus chez Marthe et Marie, on pourrait entendre que la foi se réduit à une écoute passive de Jésus. La polarité des deux récits nous rappelle que la foi est l’une et l’autre, l’écoute débouche sur l’action et l’action trouve sa source dans la méditation.

Pistes d’actualisation

1er thème : Une femme disciple

Le récit met en scène deux personnages, deux sœurs qui occupent des positions qu’on dirait aujourd’hui bien genrées. Marthe est la maîtresse de maison qui reçoit Jésus et des disciples chez elle. Cet accueil lui demande du travail et elle s’affaire pour les recevoir dignement.

Marthe a une sœur, Marie, qui est aux pieds de Jésus, ce qui est la position du disciple. Lorsque Paul parlera de sa formation de pharisien, il a dit qu’il a été enseigné aux pieds du sage Gamaliel (Ac 22.3).

La place naturelle des femmes à cette époque est celle occupée par Marthe et non par Marie. En présentant une femme qui est dans l’attitude du disciple qui est enseigné, et en plus en affirmant que c’est elle qui a la juste place, l’évangile opère une déconstruction des genres.

Rappelons que ce récit se situe dans le troisième évangile qui est le plus « féministe » des quatre.

2e thème : Seigneur, tu ne te soucies pas de ce que ma sœur me laisse faire le travail toute seule ?

Le problème de Marthe, ce n’est pas qu’elle n’est pas dans la position du disciple qui écoute Jésus – notre monde a besoin de Marthe et je suis sûr que Jésus a rendu grâce pour le repas qu’elle a préparé – le problème de Marthe est qu’elle veut enfermer sa sœur dans le même rôle qu’elle. Elle a tellement intériorisé les rôles occupés par les hommes et les femmes qu’elle n’accepte pas que sa sœur ne soit pas comme elle.

On peut ajouter que le problème de Marthe est qu’elle est dans le ressentiment. Jésus va essayer de la guérir en lui proposant d’abandonner ses fourneaux et de s’asseoir avec sa sœur. Et pour le repas, ils se débrouilleront bien.

3e thème : L’utile et le nécessaire

Jésus répond à la récrimination de Marthe en disant qu’une seule chose est nécessaire, et que Marie a choisi la bonne part. Cette réponse nous invite à faire la distinction l’utile et le nécessaire.

Habituellement, nous estimons que le nécessaire est le matériel, manger, et que la spiritualité relève de l’utile. Jésus inverse la proposition en disant que préparer le repas, accueillir chez soi, faire le ménage, arranger sa maison, toutes ces activités sont utiles, mais la seule chose vraiment nécessaire c’est d’écouter afin de donner du sens à tout ce qu’on fait. Une fois qu’on a pris le temps de l’écoute, alors la cuisine et le ménage trouvent leur juste place. Une place importante, mais pas la première place : L’être humain ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu (Mt 4.4).

Une illustration

Une fausse lecture de ce récit consisterait à considérer que les tâches ménagères ne sont pas importantes comme le montre cet apophtegme des pères du désert.

« Un frère alla trouver abba Silvain sur la montagne Sinaï. Voyant les frères qui travaillaient, il dit aux vieillards : « Ne travaillez pas pour la nourriture qui périt, Marie, en effet a choisi la bonne part. »

Le vieillard dit à son disciple : « Zacharie, donne un livre au frère et installe-le dans une cellule. »

Lorsque vint la neuvième heure, le frère surveilla la porte pour le cas où l’on enverrait quelqu’un l’appeler à manger. Comme personne ne l’appelait, il se leva, alla trouver le vieillard et lui dit : « les frères n’ont-ils pas mangé aujourd’hui ? »

Le vieillard lui répondit : « si ».

Il dit donc : « Pourquoi ne m’avez-vous pas appelé ? »

Le vieillard lui dit : « Parce que tu es un homme spirituel et que tu n’as pas besoin de cette nourriture. »

Lorsqu’il entendit ces paroles, le frère se prosterna en disant : « Pardonne-moi abba. »

Le vieillard lui dit : « En vérité, même Marie a besoin de Marthe. C’est grâce à Marthe, en effet, que l’on fait l’éloge de Marie. »

Pour aller plus loin :
Le théologien Antoine Nouis reçoit Christine Pedotti, écrivain, journaliste et directrice de la rédaction de Témoignage chrétien, pour discuter Luc 10, 38-42 :

Marthe et Marie : quelle place pour les femmes ?

Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Intervenant : Antoine Nouis