04.09.2022 : Luc 14.25-33 – Le prix pour être disciple

La radicalité et le compromis

Introduction

Après une série d’enseignements autour du repas, Jésus reprend sa route. C’est en marche qu’il poursuit son enseignement.

De grandes foules faisaient route avec lui. Dans l’évangile de Matthieu, Jésus a pitié de la foule car il la voit comme un troupeau qui n’a pas de berger (Mt 9.36), mais la foule est ambigüe car elle a tendance à ensevelir la singularité des sujets dans la masse. Entraînés par la foule, des humains sont capables d’horreurs qu’ils ne commettraient jamais tout seuls.

Voyant la foule, Jésus se retourne et s’adresse à elle pour lui parler du prix du discipulat, dans la tension entre la radicalité et le compromis.

Points d’exégèse

Attention sur deux points.

La radicalité : détester ses proches

Le verbe détester (miseô) est choquant. Il évoque la haine, le rejet. Comment peut-on le concilier avec le commandement d’amour ? Parfois, le fait d’être disciple induit des renoncements par rapport à des attachements familiaux légitimes comme le dit le verset 26, et aussi par rapport à ses propres biens les plus légitimes comme le dit le dernier verset de notre passage. Il ne s’agit de haïr dans le sens de vouloir du mal à son prochain, mais de détester les attachements qui pourraient nous éloigner de l’Évangile.

Rappelons que nous sommes dans la partie de l’évangile dans lequel Jésus est en marche vers Jérusalem et sa passion. Dans des circonstances extrêmes, l’évangile peut conduire à des renoncements radicaux.

Le compromis : être prévoyant

Être disciple n’induit pas de renoncer à la sagesse la plus élémentaire. Quand on construit une tour, il faut être prêt à aller jusqu’au bout ; quand on part en guerre, il faut être sûr qu’on peut la gagner.  

Ce passage s’oppose au verset de ceux qui s’engagent dans une action en pensant que Dieu pourvoira. Lorsque le diable a proposé à Jésus de se jeter du haut du temple pour soigner sa popularité, ce dernier a répondu par le verset qui dit : Tu ne provoqueras pas le Seigneur, ton Dieu (Lc 4.12 qui cite Dt 6.16). Être disciple induit une radicalité dans ses choix, mais à une sagesse dans ses engagements.

Pistes d’actualisation

1er thème : Porter sa croix

Alors qu’il se dirige vers sa passion, Jésus demande à ceux qui le suivent de porter leur croix. Au chapitre 9, il avait appelé ses disciples à se charger de leur croix (Lc 9.23) ; ici, cet appel s’élargit aux foules qui font route avec lui.

Jésus ne demande pas à ceux qui le suivent d’être crucifié avec lui, mais il leur rappelle que la foi induit des croix, des renoncements. Ce n’est pas très porteur de dire cela, mais il ne faut pas tricher avec la radicalité de l’Évangile. Cette séquence évoque des relations familiales (v.26) et de l’argent (v.33), mais chacun au fond de lui connaît les attachements qui l’empêchent d’être disciple et les croix dont il doit se charger.

2e thème : L’éloge du compromis

La radicalité de la croix ne signifie pas qu’il faille être radical en tout. Quand on part pour envisager une bataille, il vaut mieux un bon compromis qu’une défaite humiliante.

Si la foi appelle à une radicalité, la vie chrétienne est une succession de compromis car nous vivons dans un monde ambigu. Le mot compromis a mauvaise presse car il évoque les compromissions, il contient aussi le mot promesse, la promesse d’une vie possible et d’un témoignage crédible dans un monde qui ne vit pas toujours selon l’évangile.

3e thème : Renoncer à ses biens

Le dernier verset ajoute qu’il y a un domaine où nous ne devons pas faire de compromis, c’est celui de nos biens. De même qu’il faut renoncer à certains liens familiaux pour être disciple, il faut aussi renoncer aux biens qui entravent notre marche dans la foi.

Un peu plus loin dans l’évangile, Jésus précisera la raison de cette radicalité : Aucun domestique ne peut servir deux maîtres… Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon (Lc 16.13). Pour être disciple, il faut se libérer de tout esclavage vis-à-vis de l’argent et pour cela casser la fascination que l’argent exerce sur nous.

Illustration : La tension entre le compromis et la radicalité.

Bonhoeffer a évoqué cette tension en écrivant : « le radicalisme hait le temps, le compromis hait l’éternité ; le radicalisme hait la patience, le compromis l’esprit de décision ; le radicalisme hait l’intelligence, le compromis la simplicité ; le radicalisme hait la mesure, le compromis la démesure ; le radicalisme hait la réalité, le compromis hait la Parole. »

Autant dire que tous les deux sont vrais et tous les deux sont faux. Paul Valéry a résumé cette tension en affirmant que : « Le monde ne vaut que par les extrêmes et ne dure que par les moyens. Il ne vaut que par les ultras et ne dure que par les modérés. »
Nous retrouvons le renversement de la parabole du jugement dernier qui dit que Jésus est dans le malade, l’affamé, le prisonnier et l’indigent.

Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Intervenant : Antoine Nouis