L’évangile du dimanche 11 février

Marc 1.40-45 – Le lépreux importun

Le désir de guérison du lépreux importun

Introduction

Le récit précédent parlait de façon générique du ministère de guérison de Jésus en disant que tous les habitants de Capharnaüm lui apportaient leurs malades pour qu’il les guérisse. Parmi toutes les guérisons, l’évangile en raconte quelques-unes en détail pour insister sur un point particulier. C’est le cas de la guérison du lépreux qui présente un certain nombre d’aspérités.

Points d’exégèse

Attention sur deux points.

La lèpre

Dans la Bible, la lèpre n’est pas une maladie quelconque, c’est la maladie par excellence. Par peur de la contagion ou de l’impureté, le lépreux est mis à part. Il est rejeté de la communauté et doit vivre isolé. Éloigné de sa famille et de ses amis, il ne peut plus travailler, il ne peut que mendier, et encore de loin. Toutes les maladies traînent derrière elles l’idée d’un jugement de Dieu mais la lèpre plus que les autres. La tradition rabbinique renforce la culpabilité du malade en associant la lèpre à la médisance, et qui peut dire qu’il n’a jamais médit ?

Jésus ému ou en colère ?

Notre traduction dit que devant le lépreux, Jésus est ému, mais d’autres manuscrits remplacent ce mot par un autre qui signifie irrité ou en colère. Jésus était-il ému ou en colère ? Deux arguments plaident en faveur de ce deuxième mot, d’abord ce qu’on appelle la lectio difficilior qui veut que la version la plus probable est celle qui est la plus difficile. On comprend pourquoi on aurait cherché à faciliter le texte en remplaçant irrité par ému alors qu’on ne comprend pas pourquoi on aurait fait l’inverse. Le second argument est que l’irritation se conjugue bien avec l’emportement de Jésus au verset 43.

Pistes d’actualisation

Les tensions du récit 

Normalement, les guérisons sont des récits à l’ambiance joyeuse car ils parlent de véritables libérations, mais le texte de l’évangile est traversé par un certain nombre d’aspérités.

  • Jésus est irrité par la demande du lépreux
  • Après l’avoir guéri, il le chasse en lui interdisant de parler de sa guérison.
  • La proclamation du lépreux l’empêche d’entrer dans les villes

Ces tensions peuvent avoir plusieurs raisons. Certains commentaires ont appliqué cette colère à la révolte de Jésus contre la lèpre qui est une maladie affreuse qui ajoutait l’exclusion sociale au mal physique. On peut aussi supposer que le malade était antipathique. Jésus le guérit quand même au nom de sa compassion car il est au service du Dieu qui « fait lever son soleil sur les mauvais et sur les bons, et qui fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. » (Mt 5.45)

On peut aussi penser que Jésus a répondu à son désir de guérison qui était plus fort que toutes les conventions religieuses, ce qui le rendait irrésistible.

Entre pureté et impureté

Lorsque le lépreux s’approche de Jésus, il commet une transgression, il était en effet interdit à un lépreux de s’approcher d’un homme sain. Pour répondre à sa demande, Jésus le touche, ce qui est une autre transgression car il devient alors lui-même impur selon les règles religieuses de l’époque. Jésus aurait pu guérir le lépreux par sa seule parole comme il l’a fait en d’autres occasions. En le touchant, il prend sur lui son exclusion, ce qui donne une valeur théologique à son geste.

Alors qu’habituellement, c’est l’impur qui contamine le pur, dans le cas de Jésus c’est l’inverse. Jésus libère le lépreux de son impureté en le guérissant.

Encore l’ambiguïté des guérisons

Un dernier point souligne les tensions qui traversent cette guérison. Dans le commentaire d’évangile de la semaine dernière, nous avons insisté sur l’ambiguïté de guérisons qui ont tendance à enfermer Jésus dans le rôle d’un thaumaturge. Nous trouvons une illustration de cette tension dans ce récit lorsque Jésus demande au lépreux purifié de ne pas parler de sa guérison. Le lépreux ne peut pas s’empêcher de le proclamer haut et fort si bien que Jésus ne pouvait plus entrer dans une ville car il était assailli par les demandes de guérison. Même quand il se retire au désert, les hommes viennent à lui.

Une illustration : L’isolement du lépreux

La lèpre était une maladie terrible car elle associait l’isolement social au mal physique. Or nous savons que la présence des proches est essentielle dans le processus de guérison.

Raoul Follereau qui luttait contre la lèpre raconte une histoire dans une léproserie. Tous les malades étaient déprimés, n’ayant rien d’autre à faire qu’à observer l’évolution de la maladie chez les autres. Parmi eux, un a toujours le sourire et garde l’espérance. En l’observant, il s’aperçoit que tous les soirs il salue le visage d’une femme qui apparaît quelques instants sur le mur de la léproserie. « C’est ma femme, dit-il, tous les soirs elle vient me saluer, et alors que je sais que je suis vivant. »

Le plus grand service à rendre à un malade est de croire en sa guérison.

L’épître du dimanche 11 février

1 Co 10.31-11.1 – Les prescriptions alimentaires 

Le contexte – La question des prescriptions alimentaires

La première grande question théologique qui s’est posée à la toute première Église est celle de l’accueil des non-juifs. Il y a ceux qui voulaient leur imposer les prescriptions du judaïsme à tous, notamment la circoncision et les prescriptions alimentaires, ce qui signifie que les nouveaux convertis devaient devenir juifs avant d’être chrétiens. Et puis il y a ceux qui disent que l’Église devait accueillir tout le monde, indépendamment de leur origine religieuse. La question a été tranchée à l’assemblée de Jérusalem dans le sens de l’ouverture et Paul a été un artisan de cette compréhension inclusive de l’Église.

Dans les communautés qu’il a fondées, la question a rebondi lors des repas d’Église. A-t-on le droit de consommer des viandes d’animaux abattus lors de cérémonies idolâtres, ce qui les rendait doublement impures.

Que dit le texte ? – Le motif de conscience

Dans sa réponse, Paul commence par dire que ce qui est premier, c’est la liberté. Notre fidélité à l’Évangile ne dépend pas de ce qu’on mange et de ce fait il n’y a plus d’interdits alimentaires. 

Nous retrouvons ce thème dans le récit de Corneille dans les Actes des Apôtres. Pierre a une vision dans laquelle une voix lui demande de manger un animal impur. Pierre répond qu’il ne l’a jamais fait et la voix déclare : Ce que Dieu a déclaré pur, ne le regarde pas comme souillé. L’Évangile libère des prescriptions alimentaires.

Paul n’interdit pas de respecter ces prescriptions, il déplace la question en disant que nous devons agir pour la gloire de Dieu. La question n’est plus : « Qu’est-ce que j’ai le droit de manger ? », mais : « Est-ce que je rends gloire à Dieu par ma façon de manger ? »

Dans ce cadre-là, Paul affirme la liberté, mais cette liberté n’est pas absolue, elle est conditionnée par le respect du frère. Il dit qu’il est libre de manger de tout, mais qu’il s’abstiendra si sa liberté devait choquer un frère dans l’Église. L’amour du prochain est premier par rapport à la liberté du sujet. 

Quel est le lien avec le passage de l’Évangile ? – L’amour du prochain

Paul a pris ses libertés par rapport aux prescriptions alimentaires comme Jésus a pris ses libertés par rapport à l’exclusion du lépreux. 

Sur la question des prescriptions alimentaires, Paul fait passer l’intérêt des autres avant le sien : Je veux faire ce qui plaît à chacun, cherchant, non pas mon propre intérêt, mais celui de la multitude.

C’est exactement ce qu’a fait Jésus dans la guérison du lépreux puisque la fin du récit dit que du fait de cette guérison Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville. Il se tenait dehors, dans les lieux déserts, et on venait à lui de toutes parts. Autrement dit en libérant le lépreux de l’exclusion due à sa maladie, Jésus s’est condamné lui-même à ne plus pouvoir entrer dans une ville et à se tenir dans les lieux déserts, ce qui l’a rendu semblable aux lépreux. La guérison de son prochain était plus importante que sa situation personnelle.

Le texte du Premier Testament du dimanche 11 février

Lv 13.1-2,45-46 – L’isolement du lépreux 

Le contexte – La lèpre

La lèpre est une maladie terrible car elle est contagieuse, visible, et elle suscite de la répugnance car elle détruit les terminaisons nerveuses, ce qui provoque des plaies purulentes. 

Dans une compréhension archaïque de la religion, elle était considérée comme une punition de Dieu. Dans le récit des Nombres, Miriam, la sœur de Moïse, est touchée par la lèpre parce qu’elle a critiqué la conjugalité de son frère qui a épousé une femme étrangère (Nb 12.1-10). Les sages en ont conclu que la lèpre était une punition associée à la médisance, ce qui est particulièrement pernicieux car qui peut dire qu’il n’a jamais médit ? L’enseignement est en plus culpabilisant car il rend le malade responsable de ce qui lui arrive.

Dans le Premier Testament, elle a aussi sanctionné l’orgueil du roi Ozias qui a voulu être prêtre en plus de roi (2 Ch 26.16-19), ainsi que la cupidité de Guéhazi, le serviteur d’Élisée, qui a voulu récupérer l’argent de Naaman. (2 R 5.20-27)

Que dit le texte ? – Le confinement

Par peur de la contagion, le lépreux devait être à part. Il devait déchirer son vêtement en signe de deuil, ne pas fréquenter ses prochains et crier « Impur ! Impur ! » quand il se déplaçait pour signaler sa présence.

La déclaration d’impureté peut paraître sévère, mais nous ne devons pas oublier que dans l’histoire de l’humanité, le confinement est la réponse la plus efficace pour lutter contre les épidémies. 

La mesure est prophylactique, mais elle est particulièrement cruelle, car le malade subit une double peine, à la maladie physique s’ajoute l’épreuve de devoir être séparé de ses proches alors qu’aujourd’hui on connaît l’importance d’un environnement aimant pour lutter contre une maladie.

Quel est le lien avec le passage de l’Évangile ? – L’exclusion du lépreux

Cette réglementation autour de la gestion de la maladie nous aide à comprendre la transgression de Jésus dans le verset qui dit qu’il a tendu la main pour toucher le lépreux en déclarant : Je le veux, sois pur !

Par son geste, Jésus transgresse les lois sur l’isolement des malades en rappelant que ce sont d’abord des frères et des sœurs en humanité qui ont droit à toute notre compassion, et même à une attention particulière. Un enseignement des pères du désert dit que le frère qui visite les malades est plus grand devant Dieu que celui qui ne cesse de multiplier les ascèses et les exercices spirituels.

Le geste de Jésus est aussi théologique en ce qu’il décale la conception de la pureté et d’impureté. Dans son enseignement il a déclaré que l’impureté ne dépendait pas de ce qu’on avait mangé, de comment on s’était lavé les mains ou de sa santé, mais de ce qu’on avait dans le cœur. Le lépreux peut très bien être malade sur sa peau et pur dans son cœur.