L’évangile du dimanche 3 novembre
Marc 12.28-34 – le grand commandement
Introduction
Nous sommes dans la dernière semaine de la vie de Jésus. Il est à Jérusalem et la tension va progressivement se tendre avec les religieux. Contrairement aux récits précédents, le scribe qui interroge Jésus n’a pas d’intention malveillante. Impressionné par les réponses de Jésus sur son autorité, sur la relation à César et sur la résurrection, il lui pose la grande question de la hiérarchie des commandements et à la fin de l’échange il fait une bonne synthèse des propos de Jésus.
Points d’exégèse
Attention sur deux points.
Titre : Hiérarchie des commandements
La question posée par le scribe : « Quel est le premier de tous les commandements? » est classique parmi les maîtres, elle concerne la hiérarchie des commandements.
L’interprétation de la loi dit que tous les commandements n’ont pas la même importance. Les commentaires mettent généralement au sommet de cette hiérarchie, le commandement qui dit : Tu ne tueras pas. Un exemple classique dit que si on voit un homme se noyer le jour du sabbat, on doit le secourir en transgressant le sabbat, car le commandement qui appelle à sauver une vie est plus important que le respect du sabbat. Le scribe interroge Jésus sur sa hiérarchie des commandements.
Titre : Tout commence par l’écoute
On appelle ce passage les deux grands commandements, mais en fait il y en a trois, voire quatre : Écoute – Dieu est un – Tu aimeras Dieu – Tu aimeras ton prochain.
Les premiers mots de la réponse de Jésus Écoute Israël font écho à la confession de foi appelée aujourd’hui le shema Israël (Dt 6.4). Tout commence par l’écoute en sachant que le verbe écouter peut aussi se traduire par obéir. L’écoute n’est pas passive, elle induit une réponse.
Écouter, c’est prêter attention à la parole de Dieu, à l’étude, au sens de l’Évangile. La pire chose qui puisse arriver à la foi est d’avoir un esprit habitué.
Celui qui écoute récuse les deux attitudes que sont le dogmatisme et le scepticisme. Le dogmatique n’écoute pas, car il connaît la réponse et le sceptique n’écoute pas, car il pense qu’il n’y a pas de réponse. Le fidèle n’est ni dogmatique ni sceptique, il écoute.
Pistes d’actualisation
1er thème : Dieu est un
Le Seigneur est un, la confession de l’unicité de Dieu est un renoncement aux autres dieux. C’est une ascèse qui conduit à refuser tous les faux dieux de notre monde, les dieux de l’argent, du pouvoir, de la séduction, des loisirs, de la politique, de la mode… tous ces dieux menteurs qui me font croire que le sens de ma vie réside dans une idéologie, une réussite sociale ou une consommation.
Dire que Dieu est un, c’est refuser les idoles de notre monde, ne se laisser asservir par rien, ce qui représente une véritable ascèse.
L’unicité de Dieu a conduit un Justin martyr, au deuxième siècle de notre ère, à déclarer : « Nous sommes des athées de tous les faux dieux. » Si les disciples de Jésus ont été pris pour des athées, ce n’est pas parce qu’ils apportaient, chose banale, un autre dieu dans l’Empire romain c’est parce qu’ils annonçaient un Dieu qui libérait de tous les autres dieux et qui contestait leur tyrannie.
2e thème : Tu aimeras le Seigneur
L’expression aimer Dieu est un anthropomorphisme, c’est-à-dire que nous attribuons à Dieu des caractéristiques propres à l’homme, mais comment en parler autrement ?
Nous pouvons comprendre cet appel comme le fait d’élever, de faire grandir, le nom de Dieu. Une lecture enfantine de la foi consiste à croire en Dieu parce que Dieu nous fait du bien, qu’il apaise nos craintes et comble nos émotions. Une foi adulte ne croit pas en Dieu pour ce qu’il apporte, elle est au service de l’Évangile et du prochain. La différence entre un croyant est un disciple et qu’un croyant compte sur Dieu alors que Dieu peut compter sur un disciple. L’évangile nous invite à aimer Dieu en devenant disciples.
À propos de l’amour de Dieu, maître Eckart qui était le premier des mystiques rhénans a écrit : « Certaines gens veulent regarder Dieu comme ils regardent une vache, avec les mêmes yeux ; ils veulent aimer Dieu comme on aime une vache. Tu aimes celle-ci pour le lait et le fromage et pour ton propre avantage. Ainsi font toutes ces personnes qui aiment Dieu pour la richesse extérieure ou la consolation intérieure. Ils n’aiment pas vraiment Dieu, ils aiment leur propre avantage. »
3e thème : Tu aimeras ton prochain
Le commandement tu aimeras ton prochain est devenu tellement connu que nous ne prêtons plus attention à la question qu’il pose. Ne sommes-nous pas en présence de qu’on a appelé une double contrainte ? L’expression : « Je te demande d’aimer » est contradictoire, car l’amour ne peut pas se commander ; et s’il se commande, ce n’est plus de l’amour.
La seule façon de sortir de cette impasse est de séparer radicalement l’amour de toute notion de sentiment. Dans la Bible, l’amour n’est pas une émotion, c’est une préoccupation, une démarche, un engagement.
Dans la même veine que la citation de maître Eckart sur l’amour de Dieu, Jacques Prévert a écrit en écho à ce commandement : « Tu dis que tu aimes les fleurs et tu les coupes. Tu dis que tu aimes les poissons et tu les manges. Tu dis que tu aimes les oiseaux et tu les mets en cage. Quand tu me dis “Je t’aime“, j’ai peur. »
Aimer son prochain, ce n’est pas trouver son prochain sympathique, mais travailler pour l’aider à grandir dans toutes les dimensions de sa personne.
Une illustration
Dans un verset de la Genèse, Dieu déclare : Abraham a écouté ma voix, il a gardé mes observances, mes commandements, mes décrets et mes lois. (Gn 26.5)
Un disciple a demandé à son maître : « Comment cela est-il possible , puisqu’au temps d’Abraham, la Loi n’avait pas encore été donnée ? Comment a-t-il pu respecter ce qu’il ignorait ? » Le maître a répondu : « Toute la loi revient à aimer Dieu. Avant d’entreprendre une action, demande-toi si cela fera baisser ton amour pour Dieu. Si c’est le cas, tu sauras que c’est un péché. Mais si ton action fait grandir ton amour pour Dieu, alors sache que tu es dans sa volonté. C’est ce qu’Abraham a fait. »
C’est dans cette veine que saint Augustin a dit : « Aime et fais ce que tu veux ! »
L’épître aux hébreux du dimanche 3 novembre
Hé 7.23-28 – Un sacerdoce inaliénable
Le sacrifice parfait correspond à la fin des sacrifices
Le contexte – L’épître aux Hébreux
L’épître aux Hébreux poursuit son travail d’interprétation du ministère de Jésus à partir de la clef de lecture des sacrifices du Premier Testament. Dans les semaines précédentes, il a insisté sur le fait que le Christ ayant habité la totalité de notre humanité, il était le grand prêtre qui pouvait partager nos peines et nos souffrances.
Dans le récit proposé à notre méditation cette semaine, l’épître insiste sur l’éternité du Christ – il demeure pour toujours – pour souligner la perfection de son rôle d’intermédiaire. Le Christ est décrit comme étant totalement humain et totalement parfait.
Que dit le texte ? – Un sacrifice parfait
Dans sa comparaison avec les sacrifices présidés par des humains, l’épître aux Hébreux oppose les sacrifices imparfaits qui sont ceux offerts à notre humanité au sacrifice parfait du Christ du fait de son sacerdoce inaliénable.
En relisant la croix dans le registre du sacrifice, l’épître insiste sur le fait que le sacrifice parfait a été offert et que de ce fait, il n’a pas besoin d’être renouvelé. L’épître aux Hébreux interprète la mort de Jésus dans les catégories sacrificielles tout en disant qu’elle marque aussi la fin des sacrifices. Elle nous fait entrer dans une nouvelle économie religieuse dans laquelle nous n’avons plus besoin de cérémonies pour recevoir le pardon, mais nous pouvons nous approcher du Christ qui est toujours vivant pour intercéder en notre faveur.
Nous retrouvons, avec un autre vocabulaire, la grande affirmation des épîtres pauliniennes qui disent que, par le Christ, nous sommes devant Dieu saints, sans défaut et sans reproche (Col 1.22, voir Ep 5.27). Chaque fois que je me présente devant Dieu, le Christ intercède en ma faveur pour me faire apparaître dans ce qu’il y a de meilleur et de plus grand en moi.
Quel est le lien avec le passage de l’Évangile ? – Le changement de catégorie religieuse
Dans l’évangile de cette semaine, le scribe qui interroge Jésus donne la clef du dépassement décrit dans l’épître aux Hébreux lorsqu’il résume la réponse de Jésus en disant : l’aimer (Dieu) de tout son cœur, de toute son intelligence et de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, c’est plus que tous les holocaustes et les sacrifices.
Il décrit par là le passage d’un système religieux qui repose sur le rite et le sacrifice à un système qui repose sur l’amour et la confiance.
L’épître aux Hébreux formalise dans un vocabulaire qui ne nous est pas familier cette rupture qui est la marque de l’Évangile.
Le livre du Deutéronome du dimanche 3 novembre
03.11.2024 : Dt 6.1-6 – Tu aimeras le Dieu
La confession de foi d’Israël
Le contexte – Le livre du Deutéronome
La tradition considère le livre du Deutéronome comme le testament de Moïse. Comme toute relecture de l’histoire, il ne rapporte pas tout ce qui s’est passé pendant la période de l’Exode, mais il retient ce qui est le plus important à ses yeux. Parmi les fondamentaux le chapitre 5 présente une version des dix paroles qu’on peut considérer comme un résumé de la Torah ; et le chapitre 6 rapporte la confession de foi d’Israël qui est présenté comme le résumé du résumé de la Torah.
Ce texte appelé Shema Israël (écoute Israël) est considéré comme la confession de foi et la prière la plus importante du judaïsme que le fidèle doit réciter deux fois par jour, en se levant et en se couchant. Dans la spiritualité elle est aussi les derniers mots prononcés par un mourant.
Que dit le texte ? – Le Shema Israël
Le Shema Israël que nous méditons se déploie en quatre temps.
- Écoute ! La fidélité commence par l’écoute. La foi ne nous appartient pas, ce qui nous appartient, c’est d’écouter. En écoutant, on entretient sa fidélité comme le dit l’épître aux Romains : La foi vient de ce qu’on entend (Rm 10.17).
- Le Seigneur est un. Le grand combat de la foi est la lutte contre l’idolâtrie qui consiste à s’incliner devant les autres dieux, à commencer par celui de notre ego. Il n’y a de Dieu que Dieu.
- Tu aimeras le Seigneur. Le propre de l’amour est d’être gratuit. Nous ne devons pas être fidèles par intérêt, mais parce que Dieu est Dieu. Aimer Dieu, c’est le faire grandir en nous et autour de nous.
- Ces paroles seront sur ton cœur, tu ne cesseras de les méditer. Dans la Bible, le cœur est l’organe de la décision, de la mémoire et de la volonté. Il s’agit d’aimer Dieu de toute son intelligence.
Quel est le lien avec le passage de l’Évangile ? – La relecture de Jésus
Lorsque Jésus est interrogé pour savoir quel est selon lui le plus grand commandement, il donne la réponse la plus commune du judaïsme, en répétant le cœur du Shema Israël : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ton intelligence et de toute ta force, puis il lui associe un second commandement aussi important : Tu aimeras ton prochain.
En associant ces deux versets, Jésus donne son interprétation de la loi : le plus important est l’amour, c’est lui qui est la clef du comportement du fidèle. Et dans ce registre, on peut presque dire que l’amour de Dieu et l’amour du prochain se confondent. Comme le disait un sage : « Si vous voulez savoir comment j’aime Dieu, allez le demander à mon prochain. »
Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Intervenants : Antoine Nouis, Laurence Belling