Marie et la démarche œcuménique de France Quéré : une tolérance exigeante et libératrice
Deuxième grande intervention de la journée consacrée à France Quéré, la conférence d’Anne-Cathy Graber – docteure en théologie, pasteure mennonite, sœur consacrée de la Communauté du Chemin Neuf et maîtresse de conférences en théologie œcuménique aux Facultés Loyola Paris – a offert un regard inattendu et profondément renouvelé sur la dimension œcuménique de la pensée de la théologienne protestante.
Chargée de divers dialogues internationaux (réformés–mennonites, Foi et Constitution, Groupe des Dombes), Anne-Cathy Graber reconnaît d’emblée avoir vécu « un déplacement important » : d’abord tentée de travailler sur Marie chez France Quéré – une figure que la théologienne traitait « avec une musique digne de Mozart » selon le P. Martelet – elle a choisi de revenir au cœur de son œuvre pour y découvrir, presque en filigrane, une véritable théologie de la tolérance, tout à fait féconde pour l’œcuménisme.
Tolérance impossible, mais nécessaire
Gruber s’appuie principalement sur une conférence majeure de France Quéré, Le difficile tolérance (1987), prononcée à Neuchâtel lors de sa nomination comme docteure honoris causa. France Quéré y décrit d’abord l’impossibilité apparente de la tolérance, illustrée par une image saisissante :
« La tolérance, c’est la haine éteinte : une coulée de lave porteuse de feu et de mort devenue, avec le temps, une florissante prairie. »
Sous la belle harmonie des traditions religieuses, avertit-elle, « la lave demeure ». La mémoire blessée, les violences du passé, constitueraient ainsi le premier obstacle à tout véritable dialogue œcuménique.
Anne-Cathy Graber souligne la pertinence de cette intuition : le travail œcuménique contemporain requiert précisément une réconciliation des mémoires, et non la seule discussion doctrinale. France Quéré avait perçu cette exigence très tôt.
Dogma, doxa : deux impasses
France Quéré distingue ensuite deux formes de tolérance stériles : celle du « convaincu tolérant » (dogma), qui accepte l’autre sans le reconnaître vraiment ; et celle du « sceptique tolérant » (doxa), qui accueille toutes les croyances mais en les réduisant au rang d’opinions interchangeables.
« Tolérer, c’est supporter. Tout au plus reconnaît-on à l’autre le droit de se tromper. »
Deux attitudes, note Anne-Cathy Graber, qui constituent de véritables empêchements œcuméniques : l’une rigidifie, l’autre relativise, et toutes deux reconduisent le statu quo des séparations.
Conviction et ouverture : une voie chrétienne
Pour France Quéré, la sortie de l’impasse réside dans une tension féconde entre conviction et ouverture, qu’elle identifie à la fides et à la caritas.
« La conviction donne des arguments à l’ouverture, et le libéralisme de l’énergie à la foi. »
Cette dialectique, remarque Graber, correspond exactement à la dynamique du dialogue entre Églises : tenir ensemble l’attachement à la vérité reçue et l’accueil réel de la parole différente.
Un christianisme de la pluralité
France Quéré voit dans le christianisme lui-même une structure plurielle :
« Le christianisme ne pourra jamais être un corps fermé et homogène, mais un corps ouvert et divers. »
Diversité des Écritures, pluralité des témoignages, contradictions fécondes : autant de sources théologiques pour penser un œcuménisme vivant. L’Église, écrit-elle encore, est toujours appelée à « arracher ses fidèles à leurs positions », faisant du christianisme « la religion du voyage ».
Pour l’unité : trois prières
Anne-Cathy Graber termine sur une citation directe de France Quéré, véritable programme œcuménique :
« Prions pour trois choses : que la diversité cesse d’être sentie comme imparfaite ;
qu’elle devienne une gratification mutuelle ;
et que nous multipliions les signes matériels de cette gratitude. »
Hospitalité eucharistique, échanges paroissiaux, actions communes : des gestes concrets qui prolongent l’intuition qu’à la fin de sa vie France Quéré formulait ainsi :
« Tolérance ne suffit pas. Il faut un nom nouveau. Que diriez-vous de fraternité ? »
Une proposition qui résonne aujourd’hui avec une force singulière.
Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Remerciements : Caroline Bauer, Stéphane Lavignotte, Margueritte Léna
Technique : Frog Connexion, Paul Drion, David Gonzalez, Horizontal pictures, Alban Robert
Vendredi 28 novembre 2025, 9h00 – 18h00
Institut Protestant de Théologie – 83 boulevard Arago, Paris 14e
Une journée organisée par le Forum protestant et la revue Foi & Vie, en partenariat avec l’Institut Protestant de Théologie, Réforme et Regards
protestants.
Matinée
9h00 – Accueil des participants
9h20 – Introduction de la journée
Caroline Bauer et Stéphane Lavignotte, membres du Comité de rédaction de Foi & Vie et coordinateurs du dossier sur France Quéré
9h35 – L’éthique de France Quéré est-elle aujourd’hui encore opérante ?
Marguerite Léna, philosophe
10h20 – Pause-café
10h40 – L’évolution du couple, de la famille et de la filiation : quelle est l’actualité de la pensée de France Quéré ?
Table ronde, animée par Stéphane Lavignotte avec :
- Gemma Durand, gynécologue, membre de l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier
- Olivier Abel, philosophe
11h40 – Micro-échanges par petits groupes
12h00 – Marie et la démarche œcuménique de France Quéré
Anne-Cathy Graber, maître de conférences et co-titulaire de la Chaire de théologie œcuménique aux Facultés Loyola Paris
13h00 – Pause déjeuner
Après-midi
14h30 – Figures féminines bibliques : la femme et le féminisme de France Quéré
Table ronde animée par Caroline Bauer avec
- Claire des Mesnards, pasteure à Saint-Quentin (Aisne) et membre du groupe Orsay
- Élisabeth Parmentier, professeure de théologie pratique à l’Université de Genève
- Céline Rohmer, maître de conférences en Nouveau Testament à l’Institut Protestant de Théologie
15h45 – Micro-échanges par petits groupes,
16h00 – Pause-café
16h30 – L’écriture de France Quéré et son usage de l’Écriture
Esther Lenz, pasteure de l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine (UEPAL)
17h30 – Synthèse et conclusion
Frédéric Rognon, professeur de philosophie à la Faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg
18h00 – Clôture de la journée
Parution du numéro dédié de Foi & Vie : France Quéré : une foi vive, une pensée libre (Foi & Vie, novembre 2025).
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