« Pourquoi dites-vous que la grande invention du protestantisme, c’est le divorce ?
Olivier Abel : Les protestants ont inventé le divorce en réinterprétant des textes bibliques anciens. Par exemple, Jean Calvin, dans son interprétation du Deutéronome, considère que le divorce est possible. Cela correspond aussi au refus des vœux indissolubles et irrévocables. La théologie protestante soutient que ces vœux ne sont pas humains, et peut-être même pas divins. Le divorce devient légitime dès qu’il n’y a plus de conversation, car le but du mariage est justement cette conversation. En inventant le divorce, les protestants ont aussi inventé le mariage moderne, où la promesse doit pouvoir être rompue en cas de fausses promesses. Le mariage repose donc sur la liberté des deux parties, et la question du mariage moderne est de savoir comment rester ensemble alors qu’on pourrait se séparer.
Pourquoi se marier finalement si on s’aime ?
Olivier Abel : Si on s’aime, cela suffit-il ? Oui, évidemment. Même bibliquement, quand je pense au Cantique des Cantiques, il n’est pas question d’enfants, ni de mariage, ni même de Dieu. C’est juste le couple amoureux. Cependant, l’amour demande à être parlé, formulé, exprimé, partagé et rendu public. Cela confère au mariage une dimension politique et civique. Faire du couple une affaire simplement privée est une erreur. Le mariage doit être vu comme une affaire publique et civique. Le Cantique des Cantiques est un texte biblique où il est question d’un amour pur et intense entre deux personnes, sans les obligations et les structures sociales habituelles comme le mariage ou les enfants. Cela montre que l’amour peut exister en dehors des institutions, mais pour qu’il soit durable et significatif, il doit être communiqué et partagé publiquement.
Est-ce que cela veut dire que le grand amour n’existe pas ?
Olivier Abel : Oui, dans la mesure où on a idéalisé l’amour comme une coïncidence parfaite, comme le baiser hollywoodien où tout tombe parfaitement en place. Cela mène inévitablement à la déception. Aujourd’hui, le modèle protestant de mariage, libre et amoureux, s’achève. C’était une idée libératrice et émancipatrice par rapport aux liens de servitude, mais elle s’avère extrêmement fragile. Là où l’adultère était autrefois caché mais répandu, le divorce est maintenant commun et accepté. Cela correspond à une société de solitude.
L’idéalisation de l’amour comme une harmonie parfaite est irréaliste et conduit souvent à des attentes déçues. Le modèle protestant, bien que libérateur, est fragile car il repose sur l’idée que le mariage peut être dissous si l’amour s’estompe. Cela reflète une société où la solitude est fréquente et où les relations sont souvent temporaires.
Pourriez-vous partager avec moi trois clés pour réussir mon mariage ?
Olivier Abel : La première clé est la conversation. Une conversation peut être heureuse, joyeuse, plaisante, et peut aussi passer par la dispute. Il faut savoir se disputer en gardant le respect et l’enjouement. La deuxième clé est d’accepter l’incertitude, l’inquiétude et les décalages, y compris ceux du désir et du décor. L’amour, comme la grâce, est quelque chose qui est donné, mais cela ne suffit pas. Il faut savoir quoi en faire dans sa vie. La troisième clé est de rendre grâce à l’amour, de cultiver cette reconnaissance politiquement et courtoisement. Pour moi, c’est cela le travail de la fidélité. »
Production : Réformés
Cette vidéo est une rediffusion du 27 juin 2020.