Alors que la France célèbre les 120 ans de la loi de 1905, Jean Baubérot, historien de référence sur la laïcité, revient sur la genèse d’un texte né dans un pays fracturé. À la fin du XIXe siècle, deux Frances s’affrontent : une France traditionnelle, catholique, encore marquée par l’héritage monarchique, et une France républicaine, héritière de 1789. Le régime en place distingue alors cultes reconnus financés par l’État, cultes tolérés… et un athéisme tantôt permis, tantôt réprimé. Le conflit est profond, alimenté par l’antisémitisme, l’antimaçonnisme et un antiprotestantisme virulent. L’affaire Dreyfus en est l’un des catalyseurs.
Si le « devant de la scène » politique est occupé par Émile Combes et un anticléricalisme autoritaire, Baubérot rappelle que l’essentiel se joue en coulisses. Sous la présidence de Ferdinand Buisson, protestant ultralibéral, la commission parlementaire adopte une méthode inédite : écouter les objections de l’opposition, chercher des compromis, construire une loi stable. Le projet final, rédigé par Aristide Briand, s’appuie en réalité sur deux propositions issues de milieux protestants—celles de Francis de Pressensé et du pasteur Émile Réveillaud.
Les protestants jouent un rôle majeur, disproportionné à leur nombre. « Branche chrétienne de la France laïque et branche laïque de la France chrétienne », selon Baubérot, ils servent de pont entre les deux camps. Leur objectif : une séparation libérale garantissant la liberté de conscience et mettant fin au clergé fonctionnaire. La loi de 1905 devient ainsi un instrument de pacification. En 1908, les tensions s’apaisent ; sans elle, affirme Baubérot, l’Union sacrée de 1914 aurait été impossible.
La création de la Fédération protestante de France en 1905 s’inscrit pleinement dans ce contexte : défendre les intérêts d’un protestantisme minoritaire, et organiser une action sociale et publique dans une République où aucune religion n’est officielle, mais où toutes peuvent s’exprimer librement.
Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Remerciements : Jean Baubérot
Entretien mené par : Jean-Luc Mouton
Technique : Anne-Valérie Gaillard
