Depuis vingt ans, Barbara Cassin s’attache à ces mots qu’on ne peut pas vraiment traduire. Des mots qui, d’une langue à l’autre, ne passent pas tout à fait. Des mots qui résistent, qui révèlent des visions du monde, des logiques intimes, des manières de croire, de penser ou de dire le vrai. Avec le Vocabulaire européen des philosophies, devenu un succès international et traduit dans une dizaine de langues, la philosophe a ouvert un espace inédit : celui où la différence des langues devient matière à penser, et non obstacle.
Au cœur de son projet, une conviction : chacun doit être la mesure, c’est-à-dire juge. Juge de ce qu’il reçoit, de ce qu’il transmet, de ce qu’il traduit. Ce geste de justice qui refuse l’uniformisation et assume les écarts, traverse désormais un nouveau chantier lancé par l’Institut du monde arabe : un Dictionnaire des intraduisibles des trois monothéismes. À travers les mots de la foi – le Tétragramme, la Trinité, Allah, Abraham – il s’agit d’entrer dans la densité propre à chaque tradition, en croisant théologie, linguistique et philosophie.
Dans un monde où les mots blessent parfois plus qu’ils ne relient, cette pensée de l’intraduisible propose un contrepoint radical : une invitation à écouter l’autre à partir de sa langue, non pour le réduire, mais pour s’y mesurer.
Barbara Cassin est membre de l’Académie française, directrice de recherche émérite au CNRS, lauréate de la médaille d’or du CNRS, chevalier de la Légion d’honneur, officier de l’Ordre des Arts et des Lettres, et récipiendaire du grand prix de philosophie de l’Académie française.
Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Remerciements : Barbara Cassin
Entretien mené par : David Gonzalez
Technique : Quentin Sondag