Anca Visdei raconte Cioran avec la ferveur de celle qui l’a rencontré. Lauréate du Goncourt de la biographie au printemps dernier, elle signe avec Cioran, ou le gai désespoir la première étude intégrale consacrée à l’écrivain roumain naturalisé français. L’ouvrage est né d’une suggestion de l’éditeur Pierre Belfond, à la veille du trentième anniversaire de la mort de Cioran : « Je n’ai pas eu le temps d’avoir peur », confie l’autrice, qui a rédigé son livre en neuf mois, dans une urgence créative qu’elle juge “cioranienne”.
Élevé en Transylvanie dans une famille de tradition orthodoxe, Cioran a très tôt rompu avec la philosophie universitaire, la jugeant impuissante à répondre à ses angoisses existentielles. L’homme, lucide jusqu’à la cruauté, s’est voulu diariste plus que penseur : un chroniqueur des abîmes de l’âme. « Je n’ai pas des idées, je n’ai que des obsessions », écrivait-il.
Installé en France, il abandonne le roumain pour écrire dans une langue qu’il qualifiait de « camisole de force ». Ce passage du charnel au conceptuel, du lyrisme au dépouillement, marque une véritable métamorphose. De l’écrivain sensuel de Sur les cimes du désespoir naît le styliste épuré des Syllogismes de l’amertume.
Anca Visdei souligne aussi les contradictions d’un homme blessé, qui dut affronter ses errements de jeunesse – notamment une fascination éphémère pour le fascisme – avant de s’exiler dans le silence et la rigueur.
Aujourd’hui encore, Cioran résonne par sa lucidité : il avait pressenti le déclin de la pensée occidentale, le désenchantement du monde moderne. « Il faut le lire à dose homéopathique », conseille Visdei, « deux lignes suffisent à faire vaciller nos certitudes. »
Et de conclure, citant son aphorisme préféré :
« Dispersés, nous courons à la catastrophe. Unis, nous y arriverons. »
Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Remerciements : Anca Visdei
Entretien mené par : David Gonzalez
Technique : Horizontal pictures