Figure majeure de la Réforme, Jean Calvin est souvent résumé à l’affaire Michel Servet, brûlé à Genève en 1553. Mais réduire Calvin à cet épisode tragique serait une erreur de perspective. Pour comprendre son rapport à la violence et à la religion, il faut élargir le regard.

Avant d’être réformateur, Calvin est un jeune humaniste. Il étudie De Clementia de Sénèque, traité sur la clémence, lorsqu’il découvre les idées de Luther. En même temps, il assiste avec effroi à la guerre des paysans et aux révoltes anabaptistes en Allemagne, marquées par d’atroces massacres. Ce traumatisme fondateur le marquera à vie : Calvin restera un homme d’ordre, convaincu que l’autorité doit être respectée pour éviter le chaos.

Obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes

Calvin enseigne qu’il faut obéir aux autorités, mais introduit une nuance décisive :

« Il y a dans l’obéissance due au souverain une exception — ou plutôt une règle — : celle de ne jamais désobéir à Dieu. »

Cette tension entre fidélité à l’ordre établi et obéissance à Dieu rendra sa pensée politique féconde, mais aussi sujette à d’innombrables interprétations. C’est là l’un des paradoxes de Calvin : rigoureux, mais conscient du grain de sable que représente la conscience individuelle devant Dieu.

L’invention d’un modèle éducatif et spirituel

Face au risque d’interprétations anarchiques de la Bible, Calvin fonde à Genève une académie destinée à former les pasteurs et à enseigner les langues bibliques – grec, hébreu, latin – afin d’interpréter les Écritures avec rigueur.
Ce modèle, fondé sur l’éducation gratuite, la formation intellectuelle et la responsabilité personnelle, inspirera même le monde catholique, notamment les jésuites.
Calvin refuse toute lecture magique ou superstitieuse du texte : il rejette les prophéties, refuse de commenter l’Apocalypse et condamne l’astrologie de Nostradamus. Pour lui, la fin du monde appartient à Dieu seul.

La foi comme exil : fuir plutôt que combattre

À une époque de persécutions et de bûchers, Calvin propose une voie originale : ne pas se révolter, mais partir.
Quand la paix devient impossible, il préconise l’exil : aller ailleurs, fonder une nouvelle cité libre, fraternelle et volontaire — une Philadelphia, cité d’adhésion et non d’imposition. Cette idée influencera plus tard les modèles de colonies protestantes et de communautés autonomes en Europe et en Amérique.

L’affaire Servet

L’exécution de Michel Servet, venu défier Calvin à Genève, demeure une tache dans l’histoire de la Réforme. Calvin, acculé par un Conseil divisé et une ville assiégée, voit en Servet une menace existentielle.
Privé de solutions, il s’enferme dans une logique fanatique de la parole : sa parole contre celle de l’autre. Ce moment de crispation contredit le souffle inventif du jeune Calvin.

Les questionnements de Jean Calvin

Peu avant sa mort, Calvin échange avec Renée de France, duchesse de Ferrare, qui protège des huguenots traqués. Dans cette correspondance, il reconnaît, avec lucidité et tristesse, que la Réforme a parfois trahi son idéal :

« Nous étions partis avec des idées merveilleuses, et nous avons oublié les hommes. »

Ce constat mélancolique clôt le parcours d’un homme génial et inventif, mais soucieux d’ordre et désabusé par la violence. Calvin, l’humaniste devenu réformateur, aura cherché toute sa vie à maîtriser la puissance de la foi sans jamais totalement y parvenir.

Production : Fondation Bersier
Réalisation : Jean-Luc Mouton
Invité : Olivier Abel