Le carême est une pédagogie pour apprendre à intégrer ce scandale absolu qu’est la croix. C’est un temps qui nous appelle à trois conversions : une conversion de la pensée pour comprendre le monde à partir de l’évangile ; du regard pour rencontrer le Christ dans les petits ; et de la pratique pour devenir serviteurs.
L’idée du carême est assez étrangère à la tradition protestante qui a pris ses distances par rapport à une pratique qui pouvait s’assimiler à une œuvre spirituelle. On peut se demander si l’Église n’a pas jeté le bébé avec l’eau du bain et s’il ne serait pas possible de réintégrer une certaine compréhension du carême au sein d’une théologie de la grâce.
Plutôt que de prendre le carême pour une œuvre, nous pourrions le considérer comme une pédagogie afin d’intégrer ce scandale absolu, si contraire à notre compréhension naturelle, qu’est la théologie de la croix.
La lecture des évangiles révèle un phénomène étrange : les disciples ont été incapables d’entendre ce que Jésus leur disait lorsqu’il parlait de la croix. Chaque fois qu’il a annoncé la passion, ils n’ont pas entendu ce qu’il disait.
Après une de ces annonces, un verset de l’évangile de Luc déclare à propos des disciples : « Ils n’y comprirent rien ; le sens de cette parole leur restait caché; ils ne savaient pas ce que cela voulait dire. »
Nous aurions tort de considérer que nous sommes plus intelligents, ou plus avertis, ou meilleurs disciples que les apôtres eux-mêmes. S’ils ont montré tant de résistance à la perspective de la croix, nous devons avoir l’humilité de reconnaître que nous avons nos propres réticences. Nous avons besoin de travailler notre spiritualité pour être un petit peu moins bouchés qu’eux et vivre un tout petit bout de ce qu’induit la théologie de la croix.
Tel est l’enjeu du carême qui appelle à trois conversions.
Une conversion de l’intelligence
Nous savons qu’il existe plusieurs formes d’intelligence. Nous pensons à l’intelligence rationnelle, mais il y a aussi une intelligence de la musique, une intelligence des relations, des langues étrangères et bien d’autres encore. À cette liste, la Bible ajoute l’intelligence de l’évangile qui consiste à comprendre le monde comme le Christ le comprend, à voir le prochain comme il le voit. Cette intelligence n’est pas innée, nous avons besoin de la cultiver.
Une conversion du regard
Nous nous demandons souvent où trouver le Christ. Une parabole répond qu’il est présent dans le petit, celui qui a faim et soif, l’indigent, l’étranger, le malade et le prisonnier. Devant les misères de notre monde, nous avons tendance à détourner les yeux, car nous avons du mal à voir ce qui fait mal à voir. Le carême nous appelle à ouvrir notre regard.
Une conversion de la pratique
Ces deux premières conversions conduisent à la conversion de notre pratique. Dans son dernier repas avant d’être crucifié, Jésus a posé le signe de l’éthique chrétienne en lavant les pieds de ses disciples. Il a donné le sens de son geste en déclarant : « Si je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le maître, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres ; car c’est un exemple que je vous ai donné : ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi. » Et il a ajouté : « Sachant cela, vous serez heureux, si du moins vous le mettez en pratique. »
Le bonheur dont il est question ici est paradoxal, ce n’est pas celui de notre monde. Pour y accéder, nous avons besoin de vivre une conversion de toute notre personne et nous n’aurons pas trop de quarante jours pour progresser sur ce chemin.
Pour terminer, une illustration.
Un sage a fait la comparaison suivante : Nous sommes tous des étoiles. Vue de la terre, certaines paraissent petites et d’autres grandes, mais cela n’a rien à voir avec leur taille, mais avec leur éloignement.
Les plus petites sont les plus éloignées alors qu’elles peuvent être les plus grandes. Ce qui est grand à nos yeux peut être petit en réalité, et réciproquement.
Le carême nous aide à laver nos yeux pour faire la distinction entre ce qui est vraiment grand et petit, ce qui est important et ce qui relève du dérisoire.
Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Texte : Antoine Nouis
Présentation : Gérard Rouzier
Cette vidéo est une rediffusion du 15 mars 2019.